La sexualité, l'amour, le mariage et le divorce à l'Âge Viking
Sommaire
- Préambule
La sexualité
- Le désir et le sexe
- L'homosexualité et le lesbianisme
- La prostitution et le viol
L'amour
- Les critères de beauté
- Le choix du partenaire et le consentement
- Séduction et poésie fatale
Le mariage
- La demande en mariage, ou le temps des négociations (le mundr, le morgen-gifu et le heiman fylgia)
- Reconstitution d'une cérémonie de mariage viking
- Le choix d'une date de mariage
- Les préparatifs de la cérémonie de noces
- La cérémonie religieuse
- Le banquet de mariage
- La nuit de noces
- Le cadeau du matin
L'adultère et la polygynie
Le divorce
- Les motifs de divorce
- La procédure de divorce
Les principales sources d'informations dont disposent les chercheurs sur l'Âge Viking sont les sagas islandaises, les codes de lois, les chroniques anglo-saxonnes, les récits de voyage arabes et dans une moindre mesure les anciennes traditions germaniques pour la période préchrétienne. Les sagas et les codes de lois sont plus représentatifs des moeurs en Islande ou bien de la Scandinavie entre le Xème et le XVème siècle, déjà empreintes de valeurs chrétiennes, tandis que les récits de voyages et les chroniques historiques passent par le prisme d'une autre culture.
En outre, les concepts de sexualité et d'amour ont nécessairement évolué avec les croyances mythico-religieuses dans un monde en pleine mutation tel que celui de l'Âge Viking, où il existait de grandes différences entre les diverses sociétés des anciens pays nordiques.
La seule constante de tout temps, en Scandinavie comme ailleurs, fut sans doute dictée par les besoins de la vie agricole et pastorale: avoir une descendance, des enfants pour aider à travailler la terre, veiller sur le bétail, fournir un soutien aux plus âgés, hériter de la ferme et la faire prospérer. Autrement dit, les gens de l'époque s'attendaient, quelles que soient les préférences affectives des uns et des autres, à ce que chacun se marie et accomplisse son devoir conjugal.
La sexualité
Le désir et le sexe
Les connaissances sur la sexualité à l'Âge Viking sont limitées. Le mot en vieux norrois pour désigner le 'désir sexuel', munuth, est composé de mun ('amour') et de hugr ('pensée').
Dans les sagas, la référence la plus courante à l'acte sexuel est la "visite d'amour illicite". À chaque fois, cette expression est employée pour évoquer une rencontre cachée entre deux amants qui se voient refuser le mariage par leur famille respective.
Le sexe en tant que tel n'est jamais mentionné. Lorsqu'un homme venait 'rendre visite' à la femme dont il était épris, les sagas rapportent qu'il venait pour "lui parler", et pour illustrer le rapport sexuel que les amants "s'amusaient" ou "voyageaient" ensemble.
Les préliminaires consistaient semble-t-il pour un homme à se tourner vers l'objet de son désir et à "poser sa main/ son bras/ ou sa cuisse" sur la femme, un euphémisme fréquemment usité dans les poèmes de l'Edda et les sagas pour signifier "faire l'amour".
Lorsqu'il est question de sexe, il s'agit toujours d'un homme ayant un rapport avec une femme, et non l'inverse, comme pour mieux souligner le rôle actif et viril de l'homme: l'acte de pénétrer (sordit).
L'acte d'être pénétré (sordinn) pouvait s'appliquer à un homme, mais cela revêtait le caractère d'une insulte. Celui qui parlait ainsi ouvertement pour lui-même ou pour un autre homme risquait de tomber sous le coup de la loi.
L'homosexualité et le lesbianisme
À l'Âge Viking, il existait des mots pour désigner (et donc concevoir) les relations homosexuelles. En vieux norrois, l'homme qui tentait d'échapper au mariage est appelé fuðflogi ("celui qui fuit l'organe sexuel féminin") et la femme flannfluga ("celle qui fuit l'organe sexuel masculin"). Pour autant, aucun exemple de couple homosexuel ou lesbien ne figure dans les sources historiques.
Les partenaires sexuels importaient sans doute peu tant que l'individu était marié, avait des enfants et se conformait au moins en surface aux normes de la société mais, comme dans la plupart des autres cultures en ce temps-là, l'idée de vivre en tant que personne exclusivement homosexuelle ou lesbienne était tout bonnement inconcevable.
Alors que l'Église condamne à la fois les rôles actifs et passifs au sein des rapports homosexuels, les Scandinaves de la période préchrétienne se seraient montrés plus tolérants envers l'homosexualité masculine tant que l'homme était dans un rôle 'viril'. Le partenaire passif, lui, était considéré avec dérision et mépris. C'était donc l'acte d'être pénétré qui était frappé d'interdit.
Ergi [substantif] et argr [adjectif] sont deux insultes en vieux norrois - parmi d'autres telles que sansorðinn, ragrmann, níðingr- utilisées pour se moquer de l'efféminement ou tout comportement peu viril adopté par un homme,et parfois même des dieux et des héros dans les mythes et les légendes:
- Loki s'est accouplé avec l'étalon Svaðilfari et a accouché de Sleipnir,
- Odin, le père des dieux en personne, a appris une forme de magie, le seiðr, associée à un si grand ergi que sa pratique fut confiée à des prêtresses plutôt qu'à des hommes.
- Grettir, le héros du poème Grettisfærsla réputé pour ses prouesses sexuelles avec des femmes mais aussi des jeunes hommes, des hommes de foi et même des animaux.
Le fait d'accepter la pénétration par un autre homme pourrait par ailleurs avoir été assimilé à de la lâcheté en raison de la coutume consistant à agresser sexuellement les ennemis défaits. En plus des viols, les vaincus étaient fréquemment castrés; une pratique renseignée par la saga des Sturlungar. Dans les Grágás (les "lois de l'oie grise"), un recueil de lois islandaises, l'acte d'entailler ou de poignarder les fesses d'un homme, le klámhogg (i.e "coup de honte"), formait avec la castration un panel de représailles associées symboliquement au viol anal d'un homme.
Les sources écrites sont bien plus silencieuses concernant le lesbianisme à l'Âge Viking. Lorsque le terme org [féminin de l'adjectif argr] sert à qualifier le comportement d'une femme, cela n'indique pas qu'elle est lesbienne, mais plutôt lubrique ou impudique.
L'une des lois dans les Grágás interdit à une femme de porter des vêtements masculins, de se couper les cheveux comme un homme, de porter des armes ou de se comporter en règle général comme un homme, mais elle ne mentionne pas le comportement sexuel.
Néanmoins, dans de nombreuses sociétés où plusieurs femmes vivant sous le même toit étaient toutes sexuellement liées à un seul homme, en particulier lorsque la femme n'avait pas son mot à dire dans un mariage arrangé ou se voyait contrainte au concubinage, pouvaient naître des relations lesbiennes. À l'Âge Viking, les femmes avaient pour habitude de se réunir dans la kvenna hús ('maison' des femmes) ou dans la dyngja (salle de tissage).
Après la conversion au christianisme, les rapports sexuels entre femmes ont également été condamnés par l'Église.
La prostitution et le viol
D'autres preuves de l'acceptation de l'homosexualité dans les sociétés de l'époque sont fournies par le fait que des hommes agissaient dans certaines circonstances comme des concubins, voire des prostitués.
Dans le conte d'Ölkofri (Olkofra þáttr), un court récit conservé dans le manuscrit du XIVème siècle intitulé Moðruvallabók, figure le terme argaskattr. Ce mot sert à désigner la rémunération versée à un homme 'argr' pour ses performances sexuelles, et le texte précise même qu'il s'agit d'une somme plutôt modique.
Il est probable, selon les chercheurs, que ces hommes qui vendaient du sexe à d'autres hommes étaient de la plus basse extraction sociale, soit des esclaves comme nombre de concubines.
Les femmes libres semblent avoir été relativement protégées contre l'exploitation sexuelle, et les victimes d'un viol n'étaient pas stigmatisées ou ne tombaient pas en disgrâce. D'après les chroniques de l'époque, à l'instar des Annales de Saint-Bertin, les Vikings lors de leurs attaques auraient été moins enclins au viol des femmes que d'autres envahisseurs.
Dans l'ancienne Scandinavie, les lois protégeaient tout particulièrement les femmes contre l'attention non désirée d'un homme envers elles mais aussi contre les actes de violence conjugale [cf. § "Les motifs de divorce"] .
L'amour
Les sentiments ou la vie émotionnelle des individus de l'époque sont très rarement abordés dans les sources écrites: les récits se focalisent avant tout sur les actes et les agissements. L'amour se manifeste par des gestes plus que par des mots. Aussi, la question de l'affection ou de l'attachement entre deux personnes est généralement reléguée au second plan.
L'amour n'était pas une condition préalable au mariage. Le plus souvent, il apparaît dans les sagas comme une dimension construite par le couple, qui s'employait à le développer pour mieux cimenter leur union.
Les déclarations d'amour sont rares et se traduisent généralement par des manifestations de dévotion conjugale: la fidélité des conjoints qui par exemple pousse l'un à suivre l'autre jusque dans la mort, ou encore le respect de leur devoir mutuel d'assistance dans la gestion de la maisonnée, le maintien de leur statut social ou la défense de leur honneur en cas de difficultés.
Si le pragmatisme l'emportait a priori sur le romantisme, l'amour passionnel existait bel et bien et était désigné par les termes inn mátki munr, "la puissante passion".
Les critères de beauté
Un poète à l'Âge Viking pouvait parler longuement de la beauté d'une personne et la décrire sans qu'il y ait nécessairement de connotations érotiques ou qu'il soit lui-même soupçonné d'être 'tombé sous le charme de'.
Il ressort de la poésie scaldique que la beauté physique d'une femme reposait principalement sur la blancheur de ses bras, ainsi que la longueur et la brillance de ses cheveux.
Les hommes, quant à eux, se plaisaient à décolorer leur barbe jusqu'à l'obtention d'un jaune safran, à en croire les observations sur les mœurs des Rus' de l'ambassadeur arabe Ibn Fadlan. Des chercheurs en déduisirent qu'ils devaient procéder de même avec leur cheveux. La blondeur pourrait donc appartenir aux critères à la fois de beauté et de virilité de l'époque.
Les hommes comme les femmes, extrêmement fiers de leur apparence, n'hésitaient pas à se parer de vêtements aux couleurs vives et à porter, pour les plus aisés d'entre eux, quantité de bijoux et fibules affichant ainsi de manière ostentatoire leur bonne fortune et leur statut social.
Enfin, de nombreux ustensiles de toilette tels que des peignes, des cure-dents et des cure-oreilles en métal ou en os, ont été découverts lors des fouilles archéologiques en Scandinavie. Le souci de plaire grâce à une apparence soignée passait donc par une bonne hygiène. D'après les sources littéraires, il apparaît que les Vikings, même loin de leurs terres natales, se baignaient au moins une fois par semaine et changeaient régulièrement de vêtements. Trop régulièrement au regard du moine bénédictin Jean de Wallingford qui redoutait en cela une tentative des hommes du Danelaw de séduire les femmes de la noblesse anglaise.
Séduction et poésie fatale
Faire la cour à une jeune femme au temps des Vikings semble avoir été une activité à haut risque contrevenant à la fois aux convenances sociales et à la loi (Grágás K 238). Pour preuve, les scaldes qui s'essayaient sous l'égide de la déesse Freyja à composer des mangsöngvar, c'est-à-dire des poèmes d'amour et de louanges, s'exposaient selon la loi en vigueur à cette époque au bannissement, voire à une peine de mort.
L'une des raisons avancées par les historiens pour expliquer un tel interdit serait en lien avec le pouvoir magique accordé aux kenningar, ces figures de style à valeur métaphorique utilisées dans la poésie en vieux norrois, et la crainte qu'elles fussent promptes à envoûter ou faire chavirer le cœur des femmes. Au-delà de la forme, le contenu-même d'un mangsöngr pourrait etre mis en cause car il trahissait nécessairement une connaissance, par trop intime, de la personne à laquelle il était destiné.
Si la réputation d'une femme venait à être entachée de la sorte, l'honneur de toute sa famille était atteint et leur colère s'abattait sur le prétendant. Pourtant, malgré le danger, il existe de nombreux exemples de marivaudages dans les sagas islandaises.
Courtiser une femme consistait donc pour un homme à se rendre à ses risques et périls au domicile des parents afin de converser avec leur fille. Lorsque cette cour s'éternisait trop et que le prétendant ne formulait pas prestement sa demande en mariage, les parents de la jeune femme avaient tôt fait de réclamer réparation et vengeance pour laver l'offense. Une telle issue est narrée à 18 reprises. Néanmoins, les familles n'agissaient pas ainsi sans raison, car dans 8 autres récits où elles tardèrent à intervenir, ces visites se soldèrent par la naissance d'un enfant illégitime.
Le choix du partenaire et le consentement
Les fêtes, les cérémonies, les foires ou les marchés qui rassemblaient beaucoup de monde formaient autant de bonnes occasions pour les familles d'étudier les meilleurs partis. Mais il apparaît que le moyen le plus courant et le plus sûr de trouver une épouse convenable consistait à se rendre au thing, où les pères venaient accompagnés de leurs filles. En s'occupant sur place de la cuisine et autres tâches du quotidien, chacune avait l'opportunité de faire état de ses compétences en la matière, celles-là mêmes recherchées chez une bonne épouse.
Les things, propices aux négociations de toutes sortes, auraient été de véritables 'marchés matrimoniaux' durant lesquels des engagements étaient pris et des mariages contractés.
D'après les lois, le consentement de la femme n'était absolument pas nécessaire, ses intérêts étant placés sous la responsabilité de son "fastnandi", son tuteur légal. Il pouvait s'agir de son père, de son frère si le père était décédé, ou en l'absence de l'un et de l'autre d'un parent masculin, tandis qu'une femme qui avait déjà été mariée auparavant était représentée par son fils s'il avait plus de 16 ans, ou son beau-fils, son beau-père, son beau-frère, voire même sa belle-mère dans les rares cas où il n'y avait aucun autre survivant.
Dans les sagas, il en va autrement. La norme voulait que les pères consultent leurs filles à ce sujet et cherchent à obtenir leur approbation sur le choix de leur futur partenaire, ceci dans l'espoir de voir naître une union solide et durable. Et dans la majorité des cas, les jeunes femmes donnaient leur accord.
Toutefois, une femme avait le droit absolu de choisir son promis dans quelques cas bien précis. Les veuves par exemple étaient libres d'épouser qui elles souhaitaient. C'était également le cas, dans une moindre de mesure, des jeunes femmes placées sous la tutelle de leurs frères: au-delà de 2 refus opposés par leur fratrie, elles avaient le droit de se marier avec le 3ème prétendant sans que personne ne puissse plus s'y opposer.
Il y a peu d'occurences dans les sagas où le consentement de l'homme est recherché. D'après l'historienne danoise Jenny Jochens, soit cela signifie que c'était une condition sine qua non à toute ouverture de négociation, soit cela indique que les hommes étaient moins concernés par le choix de leur future épouse en raison de leur liberté de prendre des concubines et des amantes même en étant marié.
Le mariage
Bien plus que l'union d'un homme et d'une femme, le mariage à l'Âge Viking est un mariage arrangé qui célébrait l'alliance de deux familles.
Le mot en vieil islandais pour désigner le mariage est bruðkaup, de kaupa ("acheter") et brúð ("l'épouse"). "Se marrier" se dit kaupa mundi en vieux norrois, soit "acheter avec le mundr". C'est dire combien l'amour était loin d'être l'enjeu premier des tractations en comparaison de la valeur d'une jeune femme vierge sur l'échiquier des alliances stratégiques entre familles et entre clans.
Les récits des sagas sont d'ailleurs plutôt avares en détails sur la cérémonie en tant que telle, alors qu'il existe de très nombreuses allusions aux négociations entre les familles des futurs époux et de références aux règles et lois qui encadraient et garantissaient la conformité du mariage.
Traditionnellement, le mariage avait 2 fonctions principales:
- le contrôle de l'activité sexuelle et de la reproduction,
- la formation d'une alliance socio-économique entre deux groupes familiaux.
Une autre fonction très importante du mariage était d'apaiser les conflits entre des clans rivaux, ou de mettre un terme à d'anciennes querelles déchirant deux familles. La future mariée devenait alors un "gage de paix", à l'instar d'un otage livré au 'camp ennemi'. La maternité achevait de faire taire toute forme de rancœur en tissant des liens de sang entre les antagonistes.
La demande en mariage, ou le temps des négociations
Dans les sagas, la demande en mariage est souvent portée par des tiers influents, des hommes de prestige qui incitaient par leur richesse et leur pouvoir la famille de la jeune femme à accepter la proposition. Ils agissaient également en qualité de témoins et de garants de l'accord passé entre les deux familles.
Cet accord de mariage ne pouvait être conclu sans avoir négocié les 3 sommes qui composaient le bruðkaup, c'est-à-dire le "prix de la mariée". L'homme apportait le mundr et le morgen-gifu, tandis que la famille de la mariée s'acquittait du heiman fylgia.
Le mundr
Appelé également gjöf (cadeau), il s'agit de la somme remise par le mari à sa femme le matin suivant leur nuit de noces.
Son montant était déterminé par l'importance de la dot apportée par la femme, l'heiman fylgia. Il devait être égal à la valeur de la dot, mais les lois fixaient un minimum légal de 8 onces (environ 227g) d'argent en Islande et de 12 onces (environ 340g) en Norvège. Ce minimun était le mundr de l'homme pauvre.
La raison pour laquelle cette somme minimale était imposée s'explique par la volonté de s'assurer de la capacité d'un homme à assumer économiquement sa descendance. Celui qui ne pouvait s'en acquitter voyait s'envoler ses chances de se marier et d'avoir une progéniture.
L'instauration du mundr servait également à dédommager la famille de l'épouse de la perte que représentait sa force de travail à la ferme.
Le morgen-gifu
Le morgen-gifu (aussi orthographié morgedn-gifu), littéralement "cadeau du matin", était offert par l'homme à la femme après leur première nuit de noces, une fois le mariage consommé.
Il correspondait à une valeur comprise entre un tiers et 50% de la dot de la femme et se composait de parures de bijoux, de vêtements, de terres ou de têtes de bétail. Le plus important morgen-gifu jamais offert figurerait dans la Geste des Danois de l'historien Saxo Grammaticus, rédigée vers l'an 1200; il s'agit du cadeau du roi Gormr à son épouse Þyri, soit l'ensemble du territoire du Danemark.
Cette somme pourrait avoir été perçue comme une compensation donnée à la jeune mariée pour le don de sa virginité et le risque, à cette époque, qu'elle s'apprêtait à encourir à chaque grossesse. Ce cadeau était le sien à part entière et pour le reste de sa vie. Ni le divorce, ni la mort de son mari n'aurait pu l'en priver.
Le morgen-gifu servait donc à assurer à la femme une sécurité financière en toutes circonstances.
En Suède, les couples continuent de perpétuer cette tradition ancestrale.
Le heiman fylgia
Le heiman fylgia désigne la dot, soit la somme versée par la famille de la femme à son mari.
Cette dot représentait pour la femme le versement de sa part d'héritage, puisqu'elle n'héritait pas au même titre que ses frères des biens familiaux.
La dot était administrée par le mari comme une fiducie qui ne pouvait être dépensée inconsidérément, ni gaspillée. Cette somme ne pouvait pas être confisquée avec les autres biens de l'époux en cas de condamnation, ni ne pouvait être utilisée pour le remboursement de dettes.
Le heiman fylgia servait en partie à l'entretien de l'épouse pendant le mariage, mais il était surtout mis de côté pour fournir à la femme et ses enfants une sorte de rente en cas de veuvage. Qui plus est, la dot revenait à la femme en cas de divorce.
Le handsal
Le handsal (plur. handsöl) désigne à la fois la poignée de main et la bière qui venaient sceller l'arrangement conclu entre les deux familles des promis.
Les témoins devaient probablement être nombreux, 6 hommes au moins, car l'accord étant oral, sa validité ne durait qu'aussi longtemps que les témoins étaient encore en vie.
Reconstitution d'une cérémonie de mariage à l'Âge Viking
Afin de combler les lacunes des sources historiques quant au déroulement d'une cérémonie de mariage à l'Âge Viking, les chercheurs se sont tournés vers les travaux des spécialistes du folklore, les études sur la mythologie nordique, les rituels apparentés des peuples germaniques et vers les contours structurels produits par les anthropologues et les ethnologues dans leurs travaux sur des peuplades contemporaines.
Si le mariage peut se définir comme un rite de passage pour deux individus marquant le changement de leur statut de simples adultes à celui d'une unité sociale de procréation, alors la cérémonie intègrait nécessairement certaines caractéristiques standards :
- la séparation de l'individu de l'ensemble du groupe social;
- la destruction ou suppression de l'ancienne identité sociale de l'individu;
- la création d'une nouvelle identité sociale encadrée par une institution juridique et/ou religieuse;
- la réintégration des initiés dans leur nouveau rôle social au sein d'un plus grand groupe.
Ces étapes sont étayées par les connaissances et informations parcellaires sur le mariage à l'Âge Viking dont disposent les chercheurs.
1. Le choix d'une date de mariage
Il est probable que la plupart des mariages étaient célébrés entre la fin de l'été et le début de l'hiver pour des raisons pragmatiques.
- Les conditions climatiques en hiver auraient rendu le voyage des invités et l'organisation-même des noces difficiles, voire impossible.
- Les festivités pouvant durer une semaine, il fallait que soient disponibles des vivres en quantité suffisante, soit peu de temps après les récoltes.
- L'hydromel, que le couple partageait pour sceller son union, impliquait que le miel aient été récolté et que l'affinage ait eu le temps de se faire (jusqu'à plusieurs mois de fermentation).
Le jour traditionnel pour la célébration était sans doute le vendredi, frjádagr ("jour de Frigg"), car dans la mythologie nordique, la déesse Frigg, épouse du dieu Odin, était la déesse de l’amour, du mariage et de la maternité.
2. Les préparatifs de la cérémonie de noces
Comme dans tout rite de passage, les promis devaient être préparés à leur nouveau rôle d'époux. Une transition d'autant plus importante pour une femme, puisqu'elle passait non seulement du statut de jeune fille à celui d'épouse, mais aussi à celui, attendu, de mère.
- La future mariée était isolée en compagnie d'autres femmes - vraissemblablement sa mère, d'autres femmes mariées et sans doute une gyðja ("une prêtresse").
Elles étaient chargées de superviser les préparatifs comme lui ôter ses vêtements ou tout symbole de son statut de jeune fille à l'instar du kransen au Moyen-Âge. Il s'agissait d'un cercle doré retenant la chevelure des filles issues de bonnes familles scandinaves, qui était un signe apparent de leur virginité. Le kransen était traditionnellement retiré par les préposées et mis de coté pour la future épouse jusqu'à la naissance de sa propre fille.
L'étape suivante consistait probablement à prendre un bain, comme une sorte de purification en vue du rituel religieux. Les femmes profitaient peut-être de ce moment pour conseiller et informer la promise des devoirs d'une femme envers son mari, etc.
Aucune tenue particulière ne semble avoir été de mise contrairement à aujourd'hui. Les cheveux de la future jeune mariée étaient laissés libres et découverts le temps de la célébration et ce, pour la dernière fois. Au Moyen-Âge en Scandinavie, pour remplacer le kransen dans ses cheveux, la mariée portait une couronne de noces, un héritage gardé dans sa famille pour cette occasion. Mais rien de tel n'est spécifié dans les sources historiques pour la période préchrétienne de l'Âge Viking.
- Le futur marié, comme sa promise, était probablement entouré de son père, de ses frères, d'autres hommes mariés et peut-être d'un goði.
Puisque les hommes ne portaient pas de signe ostentatoire de leur célibat, la fin de ce statut se manifestait probablement par un rituel symbolique très différent de celui des femmes, imprégné de l'importance des origines familiales et de la continuité de la lignée .
L'homme pourrait avoir été dans l'obligation de se procurer une épée ancienne utilisée ensuite lors de la cérémonie. Les sagas font état de manière récurrente de la coutume consistant à ouvrir un tumulus pour s'approprier une épée appartenant à un ancêtre. Il arrivait parfois, d'après certains récits, qu'en l'absence d'une sépulture rattachée à la famille, l'épée soit dissimulée par ses parents dans un tertre factice. D'autres fois, l'homme obtenait l'épée des mains d'un parent encore vivant, avec une transmission complète de l'histoire familiale. Cette tradition correspond à un rituel de passage à l'âge adulte, mais rien dans les textes ne la rattache expressément au contexte des noces.
Le bain pourrait avoir été le moment privilégié pour être instruit par ses préposés sur les devoirs d'un mari et d'un père, à la manière des strophes du Havamal qui conseille les jeunes hommes quant aux relations avec les femmes en les mettant en garde non seulement sur l'inconstance de leur humeur, mais aussi en les informant sur les façons de gagner l'amour d'une femme et de vivre en harmonie avec elle.
Aucune tenue vestimentaire particulière n'est clairement mentionnée dans les sources écrites concernant le marié, hormis qu'il portait son épée et arborer éventuellement un marteau ou une hache, symboles du dieu Thor et de fertilité.
3.La cérémonie religieuse
Une fois les considérations financières réglées devant témoins, la cérémonie religieuse pouvait avoir lieu. Bien que de petits temples familiaux semblent avoir été édifiés dans l'enceinte des plus grandes fermes, la célébration se tenait probablement en plein air, soit dans un espace dégagé, soit dans un bosquet considéré comme sacré.
Au moment où les sagas ont été écrites, le christianisme avait déjà remplacé de nombreuses pratiques religieuses et tenté d'éradiquer le culte rendu aux divinités de la fertilité et de la fécondité. Qui plus est, les anciens rituels du début de l'Âge Viking faisaient l'objet d'une transmission orale aux seuls initiés par le goði ou la gyðja, afin de préserver la dimension sacré du culte. Quant aux auteurs des sagas, ils n'ont probablement pas juger utile de rapporter en détails le déroulement d'une cérémonie religieuse qui était connue de tous.
D'après la Thrymskvida, un poème de l’Edda poétique, le marteau de Thor semble avoir joué un rôle éminent en tant qu'instrument de consécration, lié au culte de la fécondité:
"Apportez le marteau Pour consacrer la fiancée :
Posez Mjölnir Sur les genoux de la vierge;
Vouez-nous l'un à l'autre Par la main de Vor [autre nom pour Frigg]" (Extrait de l'Edda poétique, textes présentés et traduits par Régis Boyer, éd. Fayard, p 445)
- Une partie importante du rituel religieux consistait à invoquer les dieux de la fertilité soit par la consécration d'un animal emblématique conservé vivant par le couple (un bouc pour Thor, un verrat ou un étalon pour Freyr par exemple), soit par un sacrifice.
Lors d'un sacrifice, le goði ou la gyðja exécutait le rituel en tranchant la gorge de l'animal et en récupérant ensuite le sang dans un bol consacré [N.B: de nos jours, les pratiquants de l’Ásatrú utilisent généralement de l'hydromel en lieu et place du sang issu d'un sacrifice]. Le bol était alors placé sur un autel (horgr) construit en pierres entassées, dans lequel l'officiant venait tremper un fagot d'aiguilles de pin, appelé hlaut-teinn. Par ce moyen, il aspergeait le couple et les invités afin d'attirer sur eux les faveurs des dieux. La chair de l'animal sacrifié était servie durant les festivités.
- Une autre partie de la cérémonie pourrait avoir consisté en un échange d'épées. D'après une tradition germanique préchrétienne décrite par Tacite, le marié remettait à son épouse l'épée de ses ancêtres afin qu'elle soit transmise à leur descendance. La mariée offrait en retour à son mari une nouvelle épée provenant de sa famille, symbolisant par là-même le transfert du pouvoir de tutelle et du devoir de protection de son père à son mari. L'échange de ces épées correspondait aussi à l'échange des anneaux, placés sur la garde. Les mains jointes sur le pommeau, le couple formulait peut-être alors des voeux mutuels.
4.Le banquet de noces
En chemin vers les festivités, les invités se livraient au bruð-hlaup (qui signifiait en vieux norrois "course de la mariée"), dont le bruð gumareid ("promenade des jeunes mariés") en usage durant la période chrétienne de l'Âge Viking pourrait être une évolution. Il s'agissait de deux cortèges solennels formés d'un côté par les proches de la mariée et de l'autre par les proches du marié, menant séparément le couple jusqu'à la salle de banquet. Mais au début de l'Âge Viking, il est probable que le bruð-hlaup désignait réellement une course, une coutume qui existe encore de nos jours dans certaines régions rurales en Scandinavie. Le groupe arrivé en dernier à la salle devait servir toute la nuit la bière aux membres de l'autre famille.
Selon une autre coutume, le marié bloquait l'entrée de la salle à son épouse à l'aide de son épée placée en travers de la porte. Il se retrouvait alors en charge de lui faire franchir le seuil sans trébucher.
Le seuil des bâtisses de l'époque consistait en un bloc de pierre légèrement surélevé qui permettait notamment d'atténuer les courants d'air froids sous la porte. Mais, selon les croyances d'alors, le seuil matérialisait aussi un portail entre deux mondes, celui des vivants et celui des morts, le lieu où les esprits se réunissent et parfois même, en particulier au cours de la période préchrétienne en Scandinavie, il était souvent le lieu d'une authentique sépulture où était inhumé le fondateur de la ferme afin qu'il garde l'entrée contre les mauvais esprits [ cf. sur Idavoll " La symbolique de la porte" dans La mort et les rites funéraires à l'Âge Viking]. S'assurer que la mariée ne tombe pas au moment où elle franchissait ce seuil, symbole du passage de sa vie de jeune fille à sa vie de femme, était le meilleur moyen de chasser tout mauvais présage.
Une fois dans la salle, le marié pourrait avoir eu à enfoncer son épée dans l'un des poteaux de soutènement du lieu, à l'instar de ce que fait Odin dans la Völsunga saga.
L'historienne anglaise Hilda Ellis Davidson établit un lien entre l'épée plantée dans le légendaire Barnstokkr (en vieux norrois "le tronc à enfant"), soit l'arbre qui se dresse au centre de la salle du roi Völsung, et les serments de mariage prononcés avec un échange d'épées dans les sociétés germaniques préchrétiennes. La chercheuse se réfère également à des récits historiques sur des cérémonies de mariage et des jeux pratiqués dans les régions rurales de Suède au XVIIème siècle où il est question d'arbres ou de poteaux. Elle cite encore une tradition suivie jusqu'à récemment en Norvège selon laquelle le marié plonge son épée dans une poutre du toit dans le but de jauger ses chances de vivre une vie de couple durable à l'aune de la profondeur de l'entaille laissée par la lame dans le bois. Par extension, l'historienne voit dans cet acte une manifestation de la virilité du marié, et donc de sa capacité à agrandir la famille.
Pour que l'union soit scellée, une des conditions à remplir exposées dans les Grágás impliquait que les mariés consomment la boisson nuptiale: l'hydromel. La mariée exerçait à cette occasion l'une des prérogatives de la maîtresse de maison: le service cérémonial de la boisson. Elle présentait sans doute l'hydromel à son mari dans un récipient semblable au kåsa suédois, une tasse avec des anses sculptées, en récitant peut-être quelques vers solennels dans le but de conférer au buveur santé et vigueur, comme ceux retranscrits dans le Sigrdrífumál:
"Je t'apporte de la bière, Arbre du Thing des broignes,
Mêlée de force Et de puissant renom,
Elle est plein de charmes Et de vertus,
De bonnes incantations Et de runes de joie" (Extrait de l'Edda poétique, textes présentés et traduits par Régis Boyer, éd. Fayard, p 625)
Avant que de boire, le marié consacrait peut-être la boisson à Thor ou portait un toast à Óðinn, tandis que sa nouvelle femme invoquait Freyja ou Frigg, déesse de la maternité. Mais en partageant ensemble ce qui était considéré comme le nectar des dieux, les jeunes mariés scellaient au regard de la loi et des dieux leur union. L'hydromel était la boisson privilégiée du couple pendant les 4 semaines suivant leur mariage, le temps d'une lune de miel.
La fête et les réjouissances durait tout le restant de la semaine. Danse, joute de mots ou concours d'insultes étaient au programme des réjouissances. Les lygisögur (les "histoires du coucher") composées pour l'occasion par les invités, mêlaient poésie, romance et surnaturel, et racontaient l'histoire de célèbres personnages, le plus souvent autour du thème du mariage.
5.La nuit de noces
Pour que le mariage soit légalement reconnu, le coucher des mariés avaient lieu en présence de leurs témoins et "à la lumière". Sur ce dernier point, les historiens ne sont pas certains de ce que veut dire la loi: soit le coucher avait lieu en plein jour, soit les mariés étaient mis au lit à la lumière des torches. Quoi qu'il en soit, il ne fait aucun doute que le but était de s'assurer que les 6 témoins requis fussent en mesure d'identifier les mariés.
Le marié ôtait de la tête de sa femme la couronne nuptiale; une défloration symbolique devant les témoins et non réelle comme c'était le cas en des temps plus anciens encore.
Après le départ des témoins, sans doute accompagné de son lot de remarques grivoises et de rires, le mariage était consommé.
Cette nuit-là, les rêves de la mariée revêtaient une importance particulière car ils étaient considérés prémonitoires de la destinée de son couple et du nombre d'enfants à venir.
6.Le cadeau du matin
Le matin suivant la nuit de noces, la mariée tressait ses cheveux ou les attachait avant de les couvrir du hustrulinet: une pièce de tissu en lin, de couleur claire, emblèmatique du statut d'épouse, qui permettait de distinguer au sein du foyer la maîtresse de maison des serviteurs et des concubines. Des épingles de 13 à 20 centimètres de long ont été découvertes dans des sépultures féminines de l'Âge Viking et les archéologues pensent qu'elle servait à fixer ce type de couvre-chefs dans les cheveux.
Il existait une grande diversité de coiffes selon les régions et le niveau social. En lieu et place du hustrulinet, il pouvait s'agir pour les plus riches d'une bande de brocart cousu de fils d'or et d'argent à laquelle était épinglée un filet ou une pièce de tissu renfermant la chevelure, ou bien pour les plus modestes d'un simple capuchon ou bonnet.
D'après les historiens, il est possible que la tradition du hustrulinet ait été importée avec le christianisme au Xème siècle, car les découvertes de coiffes en tout genre dans les sépultures augmentent brusquement au cours de cette période. Cependant, les archéologues ont aussi mis au jour des vestiges de coiffes datant du IXème siècle, voire même avant.
Enfin, toujours devant leurs témoins, le mari offrait à sa femme le "cadeau du matin", le morgen-gifu. Cette dernière condition légale à remplir pour que le mariage soit reconnu, signifiait aux yeux de tous que le mariage avait été consommé. La mariée recevait les clés ouvrant les serrures des coffres de la maison, un trousseau symbole de sa nouvelle autorité au sein du foyer.
L'adultère et la polygynie
L'adultère était un phénomène courant, ce dont témoignent les sources écrites avec de nombreuses lois et condamnations exhortant à l'époque les gens, aussi bien polythéistes que chrétiens, à être fidèle dans le mariage.
Alors que les histoires extra-conjugales concernaient aussi bien les femmes que les hommes, les femmes étaient plus sévèrement punies pour cela, en particulier après la conversion au christianisme.
La raison la plus importante de limiter l'activité sexuelle des femmes résidait dans la nécessité de contrôler les naissances car, d'après les lois de l'époque, mettre au monde un enfant illégitime pouvait entraîner une mise en danger d'ordre économique de toute la famille. Un enfant illégitime reconnu par le père était pris en charge aux 2/3 par ce dernier et ses parents, mais dans le cas contraire il était entièrement à la charge de la mère et de sa famille.
Pour autant, cela ne veut pas dire que les femmes ne se livraient pas à des relations extraconjugales. Alors que celles qui évitaient la grossesse ne subissaient pas de sanctions pénales, il restait malgré tout socialement inacceptable que des femmes en situation de précarité engendrent une descendance.
A contrario, les hommes étaient libres d'avoir des maîtresses à condition qu'il s'agisse de femmes issues d'une classe inférieure. La plupart étaient des esclaves. En raison de cette différence de statut social, elles bénéficiaient de nombreux avantages mais ne pouvaient revendiquer le droit de devenir la femme de leur amant. Elles ne représentaient ainsi jamais une menace pour la position de l'épouse en titre.
Cependant, il était courant que les hommes se choisissent une concubine, c'est-à-dire une frilla, une femme libre avec laquelle l'homme vivait ouvertement comme une épouse mais sans être mariés. Pour que cette liaison soit publique, une cérémonie en présence de deux témoins avait lieu et d'après les sagas, l'homme versait un don d'un montant inférieur au mundr de l'épouse. Quand la liaison avec une frilla durait longtemps, le couple était considéré comme légalement marié et les enfants nés de cette union étaient déclarés légitimes.
L'adultère était un motif de divorce aussi bien pour les hommes que pour les femmes. Un homme avait le droit de tuer sa femme et son amant s'il les surprenait ensemble, tandis que l'homme n'encourrait une sanction que s'il couchait avec la femme d'un autre homme.
Le divorce
Les sociétés scandinaves se démarquent des autres peuples à l'Âge Viking en raison des vastes dispositions légales prévues pour divorcer.
Même après la conversion au christianisme, le divorce est resté une pratique répandue, agissant d'un point de vue social comme une soupape de sécurité pour tous les individus dont le mariage avait été arrangé à l'avantage de leur famille, mais au détriment de leur propre bonheur. Le divorce permettait à un couple mal assorti de se séparer avant que les ressentiments ne se transforment en une haine capable d'engendrer des querelles et des actes violents pouvant s'étendre à l'échelle de familles entières.
Chaque femme en âge de procréer était mariée au moins à un homme dans sa vie et, à moins d'être stérile, portait ses enfants. En cela résidait une grande partie de leur pouvoir, comme en témoignent les sagas, car la menace d'un divorce leur conférait une forme d'autorité au sein du couple. Aussi, les femmes étaient le plus souvent à l'origine de la demande de divorce.
Le divorce n'était pas un encouragement au libertinage, ni pour les hommes, ni pour les femmes, loin de là. Parce que les mariages étaient justement contractés au profit des familles des époux, le couple devait sans doute subir des pressions de toutes parts pour perdurer le plus longtemps possible.
En outre, les lois encadrant la procédure de l'époque spécifiaient dans quel cadre et circonstances précises les individus étaient en droit de se séparer.
Les motifs de divorce
D'après les Grágás, seuls 3 cas permettaient de divorcer.
- Lorsque le couple s'était infligé "de grandes blessures", généralement définies comme des blessures à la tête, à l'abdomen ou à la colonne vertébrale.
- Lorsque le couple était trop pauvre pour subvenir à ses besoins et devait compter sur la famille pour les assister (auquel cas les proches étaient en droit de les contraindre au divorce), ou lorsque que l'un des époux devait soutenir financièrement un parent indigent. Le divorce permettait dans ce cas précis d'éviter que la belle-famille ne fasse main basse sur les biens du partenaire solvable.
- Lorsqu'un mari essayait d'emmener sa femme hors du pays contre sa volonté.
Les sagas révèlent une plus grande diversité de motifs de divorce que les Grágás. Dans une large mesure, ces motifs sont d'ailleurs semblables à ceux invoqués de nos jours dans n'importe quel tribunal judiciaire.
- Un conflit avec les proches, comme une querelle familiale, ou le fait que le conjoint n'ait pas traité sa belle-famille "avec la considération dûe".
- Les violences intrafamiliales (un motif particulièrement invoqué dans les régions de Scandinavie fortement influencées par le christianisme où le divorce était plus dur à obtenir).
- La moquerie, quand l'un des conjoints énonce des vers moqueurs envers son partenaire.
- Un tempérament excessivement colérique ou jaloux du conjoint
- Les violences conjugales, et en particulier l'humiliation d'une gifle reçue devant témoins. Une loi du Gulaþing, le thing de Gulen en Norvège, détaille toutes les sanctions encourues par un mari qui gifle sa femme : si un homme frappait sa femme devant des témoins, elle pouvait non seulement revendiquer une compensation financière égale à celle que son mari aurait reçue s'il avait été frappé par un autre homme, mais aussi, le droit de divorcer de son mari après la 3ème gifle. Les coups portés à une femme sont la raison la plus courante citée pour un divorce dans les sagas. Parfois, une femme estimait que le divorce n'était pas une vengeance suffisante contre l'insulte d'une claque: Hallgerd dans la saga de Njáll le Brûlé s'est retrouvée impliquée dans l'homicide de 2 maris qui avaient commis l'erreur fatale de la gifler.
- L'adultère. Si une femme se rendait coupable d'adultère, le divorce était la moindre peine à laquelle elle s'exposait. Les sanctions appliquées aux femmes prises en flagrant délit par leur mari allaient de l'amende à la mise à mort dans certaines contrées scandinaves de l'époque. A contrario, les activités extraconjugales d'un homme ne constituaient que très rarement une raison valable pour sa femme de demander le divorce. Les hommes ne commettaient un adultère que dans le cas où ils entretenaient une relation sexuelle avec la femme d'un autre.
- L'absence de relations sexuelles, ou si un homme ne couche pas avec sa femme pendant 3 ans de suite.
- Le travestissement. Pour un homme, le port d'un vêtement jugé efféminé à l'époque, comme une chemise trop décolletée qui expose son thorax, ou pour une femme le port d'un pantalon d'homme en public, sont des motifs de divorce.
- L'incompatibilité d'humeur, voire une franche aversion ou encore un mariage malheureux sont d'autres raisons évoquées à la marge dans les sagas.
La procédure de divorce
Les premières personnes informées de la volonté du couple de divorcer étaient les témoins qui avaient assisté à la contractualisation du mariage.
Les témoins ne devenaient dépositaires de la déclaration d'intention du couple que lorsque les motifs du divorce avaient été énoncés et listés à 3 reprises par les conjoints, dans leur chambre à coucher, devant l'entrée principale de leur demeure et pour finir devant une assemblée publique. Les témoins étaient également légitimes pour intervenir lorsqu'un seul des époux demandait le divorce, quitte à forcer l'autre partenaire à partir.
Le couple devait ensuite convenir d'un arrangement pour se répartir leurs possessions. Sans attendre l'aboutissement de la demande, la femme avait le droit de reprendre tous ses biens propres.
- Si le divorce était demandé en raison de l'égale pauvreté des conjoints, ou à cause d'un mécontentement réciproque, aucun des deux partenaires n'était pénalisé. La femme reprenait sa dot, le heiman fylgia, son cadeau du matin, le morgen-gifu et, le cas échéant, recevait 1/3 de la communauté de biens. Le mari récupérait le mundr et les 2/3 de la communauté de biens.
- Si seul l'homme demandait le divorce, la femme recueillait le mundr, l'heiman fylgia, le morgen-gifu et 1/3 des possessions du couple.
- Si seule la femme demandait le divorce, elle ne percevait que l'heiman fylgia, le morgen-gifu.
- Si des dispositions particulières concernant les biens avaient été négociées au moment de l'accord passé entre les deux familles, elles s'appliquaient de la même façon que les clauses d'un contrat de mariage de nos jours.
En pénalisant financièrement le conjoint à l'origine de la demande de divorce dans le partage des biens, la loi incitait les conjoints à rester ensemble ou à ne se séparer que pour des raisons impérieuses.
Après le divorce, l'entretien des enfants incombaient aux deux parents en fonction des ressources qu'ils tiraient de leur travail, ainsi qu'à leur famille respective. Il n'existait pas de règle ferme concernant la garde des enfants, mais selon toute vraissemblance, un nourrisson était nécessairement confié à sa mère. Dans le cas, où le père des enfants venait à décéder, la mère divorcée obtenait la garde de tous ses enfants.
À l'Âge Viking, le divorce faisait partie intégrante des lois et des pratiques en matière de mariage qu'il venait compléter. Les gens de l'époque pouvaient bien entendu s'unir par amour et non pour le seul profit de leur famille, mais de pareils mariages étaient probablement conclus par des hommes et des femmes éprouvés par une première expérience, qui cherchaient à faire de leur nouveau couple une plus belle réussite.
Sources
- Courtship, Love and Marriage in Viking Scandinavia
- Homosexuality in Viking Scandinavia
- Polygyny, Concubinage, and the Social Lives of Women in Viking-Age Scandinavia
- Concubinage and Slavery in the Viking Age, Ruth M. Karras (Scandinavian Studies Vol. 62)
- Mariage et concubinage légal en Norvège à l'époque des Vikings
- Sexual Irregularities in Medieval Scandinavia, Sexual Practices and the Medieval Church, Grethe Jacobsen, éd. Vern L. Bullough and James Brundage
- The Unmanly Man: Concepts of Sexual Defamation in Early Northern Society , Preben Meulengrach Sorensen, (The Viking Collection, Studies in Northern Civilization , Vol 1), éd. Odense University Press
- La Richesse, la Sexualité et l'Incitation: Outils politiques des Femmes dans le Nord, Jenny Jochens (No. 50, Sociétés nordiques en politique XIIe-XVe siècles), éd. Presses Universitaires de Vincennes
- "The Sword at the Wedding," in Patterns of Folklore, Hilda R. Ellis-Davidson, éd. D.S. Brewer
- Women in the Viking Age, Judith Jesch, éd.The Boydell Press
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Rédaction, traduction et mise en page: Kernelyd. Créé le 17/09/2011 - Mise à jour le 26/11/2021
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