La mort et les rites funéraires à l'Âge Viking
Sommaire
Préambule
Une autre forme d'existence
- La cérémonie funéraire
- La tombe, dernière demeure
- Les dépôts dans les habitations
- Les grands cimetières et nécropoles
Les traditions et les architectures funéraires
- La crémation
- Le tertre (ou tumulus)
- Le bateau-tombe >>> Zoom sur la tombe à deux bateaux
- La maison mortuaire
- Les tombes collectives naviformes
- Les pierres levées
- Les pierres runiques
- Les pierres historiées
- Les hogbacks
Le matériel funéraire
- Les objets funéraires
- Les sacrifices
- Un exemple: Inventaire de la tombe d'Oseberg
La vie après la mort
- Les royaumes des morts dans la mythologie nordique
- La symbolique de la porte
- Le culte des ancêtres
- Les revenants >>> Zoom sur le draugr
Après la conversion au christianisme
Durant l'Âge Viking, seulement 1 à 3% de la population aurait atteint un âge avancé, soit plus de 60 ans. C'est ce qu'ont démontré des chercheurs danois qui ont analysé un ensemble de squelettes de cette période découverts dans le Jutland. Il résulte de leurs travaux que l'espérance de vie à l'époque était tout au plus de 40/ 45 ans.
Les femmes décédaient souvent à un âge encore plus jeune, entre 25 et 30 ans, souvent à la suite de complications liées à la grossesse et à l'accouchement.
Le taux de mortalité infantile entre les fausses couches, les enfants mort-nés, la mort subite du nourrisson (le plus souvent entre 2 et 4 mois) et les enfants en bas-âge décédés de maladie ou de blessures, était très élevé.
Une autre forme d'existence
La mort ne signifiait pas pour les Vikings la fin absolue, mais seulement le passage à une autre forme d'existence.
Dans les croyances nordiques, l'homme est constitué de 5 corps:
- le várðr (ou vörd), qui est la force, l'énergie qui permet toutes les formes de vie des végétaux aux humains. C'est elle qui quitte le corps au moment de la mort.
- le hamr, qui est le corps astral, la conscience qui distingue tous les êtres vivants des végétaux, un élément constitutif et indissociable de l'individu qui peut lui permettre de se métamorphoser à l'instar des guerriers fauves (berserker, ulfhednar).
- le hugr, qui est le corps mental, l'esprit, la capacité d'acquérir des connaissances et de s'en servir. Il ne se détache du corps physique qu'après que ce dernier se soit décomposé ou qu'il ait été brûlé et entame alors son voyage vers l'au-delà.
- la fylgja, qui est l'âme d'un individu et même d'un clan, le moi émancipé de l'enveloppe corporelle, un être tutélaire dont la fonction est la protection et la prédiction. Elle ne disparaît pas avec l'individu auquel elle s'est attachée mais si elle le quitte ou si elle se manifeste à lui en dehors d'un rêve, il meurt.
- la hamingja, qui est la force tutélaire d'une famille veillant au bon comportement de ses descendants. La hamingja pouvait quitter l'individu de son vivant ou être reçu par un autre membre de la lignée après la mort.
La mort était donc une mort biologique, mais pas une mort sociale. Trois vocables servent à désigner une dépouille mortelle en vieux norrois:
- lik ("cadavre")
- nár ("corps sans vie")
- hræ ("carcasse" utilisé indifféremment pour un animal comme pour un être humain)
La cérémonie funéraire
Les sépultures de l'Âge Viking mises au jour en Scandinavie par les archéologues font état de grandes disparités régionales, et parfois même locales, quelles que soient les croyances des populations. Mais toutes témoignent de l'importance accordée aux actes rituels.
D'après les recherches menées sur la prestigieuse sépulture d'Oseberg en Norvège, près de 4 à 6 mois, voire même peut-être plusieurs années, auraient été nécessaires, à l'accomplissement de ce type de funérailles comprenant notamment l'édification d'un tumulus. Les biens et des offrandes étaient déposés en quantité dans les tombes, à la hauteur du rang et de la classe sociale à laquelle appartenait le défunt.
Le septième jour après le décès de la personne, la coutume voulait que les gens célébrent le sjaund (du vieux norrois sjau ,"sept"), à l'occasion duquel se buvait la gravøl, littéralement la "bière funéraire". Cette fête rituelle donnait lieu à de joyeuses réjouissances et dfes mets en abondance afin que le défunt puisse être en paix et commencer son voyage vers le royaume des morts sans être tenté de "marcher à nouveau" (expression utilisée à l'Âge Viking pour "revenant"). Ce n'est qu'après avoir consommé cette bière que les successeurs pouvaient légitimement réclamer leur héritage ou, le cas échéant, le transfert d'une quelconque autorité.
La tombe, dernière demeure
Le lieu du dernier repos était conçu comme une demeure, et non comme une oubliette, pour le mort qui "vivait" littéralement à proximité de sa famille. En effet, dans la grande majorité des cas, les cimetières se situaient à proximité des habitations ou des fermes familiales, généralement sur des terres impropres à l'agriculture.
Ainsi, le corps du défunt était parfois assis sur une chaise comme pour siéger, ou bien étendu sur le plancher au centre de sa dernière demeure. Le mobilier funéraire, arrangé soigneusement autour de lui, délimitaient des espaces dédiés à l'alimentation, au jeu, aux armes, etc... comme pour reconstituer les différents espaces d'une maison.
La plupart des rites étaient destinés à garantir, d'une façon ou d'une autre, la meilleure situation possible dans l'au-delà pour le défunt, comme pour ses proches encore en vie.
Même les différents royaumes des morts dans les croyances étaient à l'image de l'environnement dans lequel l'individu avait évolué de son vivant, et des causes de son décès. Tout un chacun ne pouvait prétendre au même séjour dans l'au-delà, ce dernier étant directement conditionné par la vie que chaque individu avait mené.
Les dépôts dans les habitations
Selon les estimations des chercheurs, la moitié environ de la population n’aurait pas bénéficié d’une sépulture au cours de l’Âge Viking dans l'actuelle Norvège. Quid des gens en marge de la société, modestes ou fragiles, des domestiques et des esclaves? Les tombes mises au jour par les archéologues sont le plus souvent celles d'individus fortunés ou qui appartenaient à une élite.
Cependant, de récentes recherches ont démontré que les habitations n'étaient pas exclusivement le domaine des vivants et qu'elles accueillaient des parties de squelettes et des corps d'enfants, enterrés sous les seuils de porte, les planchers, les trous de poteau, dans les fondations des murs ou à proximité du foyer. Les enfants morts-nés ou morts avant d'avoir reçu un nom pourraient avoir été considérés comme des 'objets' magiques, d'après l'archéologue Marianne Hem Eriksen de l'Université d'Oslo.
Il n'est pas possible de déterminer si ces ossements, parmi lesquels de nombreux crânes, étaient les restes de proches parents, d'esclaves ou d'ennemis. De tels dépots dans les maisons pouvaient aussi bien servir à préserver l'essence d'une personne décédée, à protéger le lieu, qu'à tenter de détruire l'aura d'un ennemi.
Différentes parties de la maison servaient probablement de points de contact entre vivants et morts, mais permettaient aussi de relier le passé, le présent et le futur. Cette coutume, encore mal cernée, démontre pour le moins combien la mort faisait partie intégrante du quotidien des vivants à l'Âge Viking. Il existe d'ailleurs un mot en vieux norrois pour signifier le présage d'une mort imminente, le feigð, qui ne peut toutefois se manifester que par l'intermédiaire d'un individu doté du don de double vue, l'ofreskr.
Les grands cimetières et nécropoles
- BIRKA (Suède): plus de 3000 tombes sur une période de 2 siècles
- BORREHAUGENE (Norvège): 18,2 hectares où sont encore visibles 7 grands tumuli pouvant mesurer jusqu'à 45 mètres de diamètre et 6 mètres de haut, 1 grand cairn et 25 autres plus petits.
- LINDHOLM HØJE (Danemark): 700 sépultures entourées de pierres formant pour la plupart des navires.
- HEDEBY (Allemagne): 7000 tombes
Les architectures et les rituels funéraires
En ce qui concerne la première moitié de l'Âge Viking, les archéologues découvrent autant de sépultures masculines que féminines. Mais à partir du Xème siècle, seule une tombe sur 4 est une sépulture de femme.
La crémation
La crémation est une pratique funéraire visant à brûler et réduire en cendres le corps du défunt. Il était courant de brûler le cadavre et les offrandes funéraires sur un bûcher, qui pouvait atteindre une température de 1400°C ( contre 920°C dans les fours des crématoriums actuels).
Elle est attestée sous diverses formes:
- la crémation primaire. Le mort est brûlé et enterré au même endroit. Les archéologues découvrent alors dans une fosse des os calcinés du squelette de l'individu, les résidus du bûcher funéraire et parfois des restes d'ossements d'animaux divers, le plus souvent de chien, de chat et de poule.
- La crémation à dépôt secondaire. Le défunt est brûlé sur un bûcher et les restes sont placés dans une urne en poterie qui est enterrée dans un lieu différent du bûcher. Le contenu de l'urne était soigneusement sélectionné, et se composait, comme l'explique l'archéologue suédois Gunnar Andersson, de fragments d'ossements de taille importante provenant du crâne ou d'autres os importants. Les plus petits fragments ainsi que les autres restes calcinés d'animaux et d'artefacts étaient disposés à l'extérieur de l'urne.
Les tombes à crémation sont toujours orientées selon un axe est-ouest. Elles étaient d'ordinaire recouvertes d'un amas de pierres appelé "cairn" ou d'un tertre.
Cette tradition était la plus répandue dans de nombreuses régions de la Scandinavie centrale au début de l'Âge Viking et dans la partie septentrionale de l'actuel Danemark, au nord du Limfjord.
Dans les régions les plus à l'est de la Suède et sur l'archipel d'Åland, un rituel spécifique lui était associée aux Xème et XIème siècle. Il consistait, après la crémation, à placer au sommet de l'urne un grand anneau à amulettes en fer, sur lequel étaient enfilés un ou plusieurs pendentifs tels que des marteaux de Thor.
A contrario, une seule tombe à crémation datant de l'Âge Viking a été découverte en Islande à ce jour, peut-être parce que le bois était sur cette île une ressource aussi vitale que fragile et donc bien trop précieuse pour servir à alimenter un bûcher.
Le tertre ou tumulus
Le tertre funéraire est une butte de terre, ou parfois de terre et de pierres (tumulus), de forme et de dimension variables, qui venait généralement recouvrir la tombe d'un roi ou d'un chef, mais aussi celles de grands et riches marchands ou de guerriers. Il sert à manifester, dans le paysage alentour, l'importance des illustres personnages qu'il abrite.
Le tertre funéraire, ou tumulus, peut recouvrir plusieurs types de sépultures individuelles ou familiales:
- une tombe à crémation, se composant d'une fosse avec ou sans bateau-tombe
- une chambre sépulcrale pouvant être recouverte d'un toit maintenu par des piliers de bois
Cette pratique funéraire s'est maintenue en Scandinavie au-delà de la fin du paganisme.
Le bateau-tombe
Un bateau entier est utilisé comme réceptacle pour le défunt et ses biens, voire comme bien en tant que tel. Ce mode de sépulture, plus fréquent en Norvège et en Suède, est une tradition qui remonte au début des Invasions et atteste de l'idée très ancienne du voyage dans l'autre monde.
Il existe 3 sortes d'inhumation dans un bateau:
- Le bateau est brûlé avec le défunt à son bord et gagne le large.
- Le bateau est brûlé à terre avec le défunt et les cendres sont recouvertes par un tumulus. [Cf. le rapport détaillé de l'arabe Ibn Fadlan qui, en 922, décrit les funérailles d'un chef Varègue: les offrandes au défunt comprenaient non seulement ses armes, des victuailles et des animaux domestiques, mais aussi une jeune femme, tous brûlés avec le bateau sur un bûcher. Un tumulus fut ensuite édifié au-dessus des cendres.]
- Le bateau est enterré tel quel avec le défunt à son bord, et le bateau-tombe est recouvert par un tumulus.
Les modes d'inhumation 2 et 3 sont attestées par d'innombrables découvertes. Les inhumations de cadavres dans des bateaux laissés intacts sont un peu plus fréquentes que les inhumations par crémation, mais les archéologues ont aussi découvert des crémations de défunts dans des bateaux qui n'ont pas été brûlés.
L'inhumation dans un bateau s'effectue dans de grandes fosses, larges et profondes, éventuellement dotées d'un plancher ou d'un toit. Elles peuvent contenir un riche mobilier funéraire et un ensemble d'animaux sacrifiés, le plus souvent disposés à l'extérieur du bateau.
Ce mode de sépulture, très représentatifs des aristocrates et des personnes les plus riches de la société de l'époque, n'est pas exclusivement réservé aux hommes. De nombreux bateaux tombes découverts en Scandinavie sont des sépultures de femmes, ce qui est notamment le cas de l'un des plus célèbres d'entre eux: le bateau d'Oseberg.
À noter que dans certaines tombes, la trop petite quantité de rivets trouvée pourrait avoir eu une simple valeur symbolique - pars pro toto- c'est-à-dire servant à représenter un bateau, sans gaspiller pour autant cette précieuse ressource.
>>> Zoom sur une tombe à deux bateaux
Il existe quelques découvertes extrêmement rares de fosses contenant 2 bateaux-tombes enterrés l'un au-dessus de l'autre. Les premières ont été faites dans les années 1950 à Kaupang et à Tjølling, dans le Vestfold (Norvège).
En Octobre 2019, à Vinjeøra (Norvège), les archéologues ont mis au jour le bateau-tombe d'environ 7 à 8 mètres de long d'une femme décédée entre 850 et 900 de notre ère. Il avait été disposé par-dessus le bateau tombe, plus grand de quelques mètres, d'un homme décédé au VIIIème siècle (cf. vidéo ci-dessous).
Il est possible, d'après les chercheurs, que ce rite funéraire ait servi à indiquer le lien de parenté des deux individus et à fixer les droits de propriétés de la famille sur les terres agricoles environnantes.
La maison mortuaire
La maison mortuaire consiste en une maison de petite dimension dans laquelle les défunts étaient placés. Au total, moins de 15 maisons de ce type ont été découvertes en Norvège. D'autres ont été trouvées en Suède et au Danemark, mais ces maisons mortuaires de l'Âge Viking restent rares.
Les chercheurs débattent encore de la fonction de cette structure funéraire. En pratique, il pourrait s'agir d'un genre de morgue où les cadavres étaient entreposés l'hiver, en attendant que les conditions climatiques permettent leur inhumation en terre. Symboliquement, la maison pouvait aussi figurer la résidence du défunt dans l'au-delà, à l'instar du bateau-tombe qui permettait de naviguer vers le royaume des morts.
Il existe par ailleurs de rares exemples d’inhumation dans des maisons d'habitation durant les périodes de l’Âge du Fer et de l'Âge Viking, et seulement quelques exemples de maison mortuaire recouverte d'un tumulus, peut-être pour donner à la maison-même une sépulture. C'est peut-être le cas de la maison mortuaire de Vinjeøra, découverte en 2019, le long de la E39 (cf. vidéo ci-dessous).
La tombe collective naviforme
Ce rite funéraire consiste en un ensemble de pierre levées, disposées selon un tracé naviforme et séparées les unes des autres. Les pierres figurant la proue et la poupe à chaque extrêmité dépassent légèrement les autres. Comme le bateau-tombe, la tombe naviforme atteste de l'idée très ancienne du voyage dans l'autre monde.
La plupart de ces sépultures se trouvent dans le sud de la Scandinavie, surtout en Suède et au Danemark. Il existe actuellement plus de 1500 tombes collectives naviformes conservées, dont la majorité date de l'Âge Viking.
Un grand nombre d'entre elles renferment des tombeaux et peuvent en cela être comparées au bateaux tombes. Les tombes collectives naviformes sans tombeau pourraient être des monuments cultuels en rapport avec les rites funéraires.
Les pierres levées
Les pierres levées (bautasteinar), semblables aux menhirs qui se trouvent en France, sont des pierres commémoratives naturellement oblongues, plus ou moins plates et généralement de grande dimension érigées sur les lieux de sépulture, comme à la ferme de Noreim, le long du détroit de Karmsund en Norvège, où se trouvent au total 1176 pierres monumentales toutes périodes confondues.
Il s'agit d'une tradition ancestrale héritée du Néolithique et qui a perduré jusqu'à l'Âge Viking. Elles se distinguent des autres pierres tombales (pierres runiques, pierres historiées) par leur taille et le fait qu'elles soient dépourvues d'inscriptions comme d'ornementation.
Les chercheurs pensent qu'elles pourraient avoir eu d'autres fonctions, comme marquer une frontière entre deux régions ou indiquer la voie par laquelle les bateaux vikings pouvaient passer sur la terre ferme afin de rejoindre une autre voie navigable comme à Hosle, dans la municipalité de Tjølling.
Les pierres runiques
Les pierres runiques (runesteinar) sont des pierres dressées, gravées d'inscriptions runiques, dédiées dans leur grande majorité à la mémoire d'un défunt, soit pour marquer l'emplacement de sa tombe, soit parfois en l'absence de sépulture lorsque la personne mourrait loin de chez elle.
La majorité des pierres runiques furent érigées entre la moitié du Xème siècle et le XIIème, principalement en Suède et au Danemark, et dans une moindre mesure en Norvège. Il en existe environ 3000.
Au Danemark, il y a environ 220 pierres commémoratives. Pour 23 d'entre elles, les commanditaires sont des femmes et 11 autres ont été érigées à la mémoire d'une femme.
L'une des plus célèbres est la pierre de Rök, érigée en mémoire d'un fils défunt, sur laquelle se trouve gravée la plus longue inscription connue, soit plus de 700 runes parfaitement lisibles couvrant ses cinq côtés.
Les pierres historiées
Les pierres historiées (biletsteinar ou bildstenar) sont des pierres taillées dans des blocs de calcaire dont les plus célèbres ont été découvertes, au nombre de 4 à Stora Hammars, sur l'île de Gotland en Suède.
Décorées de diverses figures symbolisant la gloire et la mort, avec toujours un arrière-plan à la fois mythologique, religieux et martial , elles ont probablement été érigées pour honorer la mémoire d'illustres personnages ou rappeler de grands événements. En ce sens, il pourrait s'agir de monuments commémoratifs.
Du Vème siècle au VIIIème siècle, les pierres historiées sont souvent en forme de hache (le tranchant vers le haut) et présentent relativement peu d'images. Cette première catégorie de pierres servaient probablement à marquer l'emplacement d'une sépulture. Mais à partir du VIIIème, les pierres furent en général placées à proximité des carrefours et autres points de rencontres.
Les hogbacks
Les hogbacks sont des pierres sculptées anglo-scandinaves. Les chercheurs pensent qu'elles faisaient office de pierres tombales et que cette tradition serait née vers l'an 920 dans le Yorshire. Cette dernière aurait décliné au début du XIème siècle pour disparaître complétement au XIIème siècle.
Plusieurs ensembles de hogbacks ont été découverts en Angleterre (Yorhire, comté de Cumbria) et en Écosse, généralement le long des voies navigables. Quelques-uns se trouvent dans les archipels des Shetland, des Orcades et dans les Cornouailles, un seul en Irlande à Castledermot (comté de Kildare) et un seul au Pays de Galles à l'église de Llanddewi Aberarth.
Il existe deux principaux types de hogbacks, l'un avec de grandes têtes d'animaux à chaque extrémité, l'autre en forme de maison-longue avec sa toiture de bardeaux. Volutes et entrelacs achèvent d'orner ces pierres tombales.
Le matériel funéraire
L'abondant mobilier funéraire et les victuailles mis au jour par les archéologues sont une caractéristique des sépultures pré-chrétiennes de l'Âge Viking, qui confirme la croyance en une existence après la mort. En toute logique, les objets funéraires étaient soumis au même traitement que le corps, brûlés ou enterrés, pour pouvoir accompagner la personne décédée dans l'au-delà.
L'équipement varie considérablement en fonction du statut social du défunt et reflète généralement l'activité qu'il menait de son vivant. Toutefois, il convient de rappeler que la plupart des sépultures répertoriées par les archéologues appartiennent à l'élite des sociétés de l'époque.
Si le matériel qu'elles contiennent ne saurait être représentatif des funérailles de la majeure partie de la population, il n'en reste pas moins révélateur des croyances et des traditions.
Les objets funéraires
Un homme libre recevait généralement des armes (allant du simple couteau à une panoplie complète) et du matériel pour monter à cheval. Un artisan emportait avec lui tout un ensemble d'outils liés à son activité, de la même façon qu'un marchand ses poids et sa balance. Les tombes féminines se distinguent pour la plupart par des ustensiles et des outils liés aux tâches domestiques qui leur incombaient, et en particulier des éléments de métier à tisser (poids, fusaïoles, navette...), voire l'objet-même pour les plus fortunées.
Les bijoux ne sont pas un marqueur de genre et se trouvent aussi bien dans les tombes féminines que masculines. Il n'est pas rare non plus de trouver des pièces de jeu de hnefatafl ou des dés.
L'un des objets les plus emblématiques et très couramment découverts en archéologie, est le peigne. Véritable symbole du soin que les Vikings portaient à leur hygiène et à leur mise, l'omniprésence du peigne dans les sépultures a contribué à faire tomber en désuétude l'image du barbare hirsute. Néanmoins, l'une des explications avancées par les chercheurs est qu'il n'était peut-être plus possible d'utiliser un peigne qui avait servi à coiffer les cheveux d'un défunt.
Certains objets plus rares permettent aux archéologues d'identifier aisément le rôle joué par le défunt au sein de la société. Le seiðstafr ou bâton de seydr, une sorte de baguette magique retrouvée dans près de 40 tombes à travers la Scandinavie, désigne clairement la sépulture d'une völva ou d'une seiðkona, soit une femme pratiquant au moins l'une des magies nordiques.
Il en va de même pour les épées, rares et onéreuses, qui étaient généralement l'attribut des guerriers de renom et des chefs qui avaient pour coutume de les personnifier en leur attribuant un nom. Aussi, lors d'un décès, un rituel consistait à neutraliser l'épée du défunt en pliant délibéremment la lame, avant de la placer dans la sépulture. Cette pratique symbolique, attestée par les découvertes archéologiques, pourrait avoir eu une fonction pragmatique visant à dissuader les vélléités des pilleurs de tombes.
Les sacrifices
Les sacrifices d'animaux étaient une pratique très répandue à l'Âge Viking dans toute la Scandinavie et même au-delà, dans les colonies. Les chiens, les chats et les poules sont les trois espèces les plus concernées par ce rituel funéraire.
Compagnons de voyage ou source de nourriture dans l'au-delà, le sacrifice d'animaux ne refléte pas toujours le statut social du défunt, souligne l'archéologue Gunnar Andersson. Toutefois, dans les sépultures aristocratiques, leur nombre et les espèces sélectionnées telles que les oiseaux de proie, sont une bonne indication du rang de la personne décédée dans la société de l'époque. En Islande par exemple, des généticiens et des archéologues ont démontré que des étalons avaient été sacrifiés et placés dans les tombes en tant que symbole de puissance.
La plupart des animaux sacrifiés sont psychopompes, c'est-à-dire qu'ils avaient pour tâche d'après les croyances populaires de l'époque, d'escorter les âmes récemment décédées vers l'autre monde, chacun à sa manière.
- Le chien était chargé de guider les morts dans l'au-delà, à l'instar de Garm, le gardien du royaume des morts.
- Le chat était doté de pouvoirs divinatoires, et est une référence à l'un des attributs de la déesse Freyja qui se déplaçait sur un char tiré par des chats.
- La poule était lié à un rituel pour prédire l'avenir et entrer en communication avec le défunt, comme le rapporte le récit de l'émissaire arabe Ibn Fadlan.
- L'étalon était un présent capable d'attirer la faveur des dieux.
Suivant les sources écrites, il existait également des sacrifices humains qui semblent avoir concerné en grande majorité des domestiques et des épouses. Ibn Fadlan, l'émissaire arabe qui assista aux funérailles d'un chef varègue en 921 sur les rives de la Volga, rapporte qu'une esclave fut choisie pour accompagner son maître dans la tombe.
Inventaire de la tombe d'Oseberg
Le célèbre bateau-tombe d'Oseberg date de 834, et est la sépulture viking la plus riche en mobilier funéraire qui ait jamais été découverte.
Le tumulus a été fouillé en 1904 et a révélé un navire viking avec deux femmes de haut rang, l'une d'environ 50 ans, et l'autre plus âgée entre 70 et 80 ans.
Voici, à titre d'exemple, l'inventaire de ce qui a été mis au jour:
- 1 navire avec 1 chambre sépulcrale drapée d'étoffes, tous les avirons, de la corde, du matériel de gréage, des restes de voiles, de grandes écope, 1 ancre, 1 mât avec une inscription runique d'env. 2,40 m de long, 1 passerelle de débarquement, 4 traîneaux et 1 chariot richement décorés
- Aliments: pâte à pain, prunes, pommes, myrtilles
- Animaux et équipement: 15 chevaux, 6 chiens, 1 boeuf, 1 taureau, 1 harle huppé [un canard], 1 bécasse eurasienne, 1 fouet, 1 selle, différents types de raccords de harnais, 5 fers à cheval d'hiver en fer, plusieurs petits piquets en bois pour attacher les chevaux, plusieurs chaînes et colliers en fer pour les chiens
- Mobilier: 2 tentes, 1 chaise, 6 lits dont l'un a été partiellement décoré de peinture, matelas en plumes, linge de lit, 1 tabouret, 2 lampes à huile, 1 tapis de sol, 3 grands coffres, plusieurs coffrets, boîtes et récipients ronds en bois avec couvercle - utilisés principalement pour conserver les aliments, 3 grands fûts, 5 poteaux à tête animale
- Outils et ustensiles: 1 pierre de meule, 1 panier, 1 seau en bois avec des cerclages en laiton, 1 seau en bois avec pour ornements des représentations de Bouddha, 1 petit seau en bois d'if, 3 chaudrons en fer, 1 trépied forgé pour la cuisson sur le feu, 10 seaux et baquets ordinaires, 1 récipient rond en bois avec couvercle utilisé principalement pour conserver les aliments, plusieurs bâtonnets et cuillères en bois, 1 manche en bois d'un mètre de long, 5 louches, 1 poêle, 1 auge de 2 m de long environ, 3 petits auges, 1 récipient en terre, 7 bols en bois, plusieurs petits bols en bois, 4 plateaux en bois, 4 hochets, 1 morceau de bois en forme de flèche de 40 cm de long environ, 2 morceaux de silex, 2 haches de travail, 3 couteaux, 1 manche de couteau, 2 pierres à aiguiser en ardoise, 2 autres pierres à aiguiser, 3 grands peignes, 1 peigne en os, 5 métiers à tisser différents, 1 métier pour le tissage aux tablettes, 1 peigne de métier à tisser, 1 fuseau et 1 quenouille, divers petits outils pour la filature et le travail textile, 1 dispositif pour enrouler la laine, 2 planches décorées servant à repasser le linge, 1 pierre de repassage, 3 aiguilles en bois, 5 épingles en bois utilisées pour draper du tissu, 1 paire de ciseaux en fer, 2 battoirs à linge, 2 alènes pour le travail du cuir, 1 morceau de cire, 1 fourche, 3 houes, 18 pelles appartenant probablement aux pilleurs de tombes
- Vêtements, tissu et objets connexes: 2 paires de chaussures, 1 petite pochette en cuir contenant du cannabis, plusieurs robes et autres vêtements, divers textiles en laine, lin et soie, 2 bobines de fil, 5 pelotes de laine, 1 grande tapisserie, 1 bande de cuir nouée comme une cravate
- Bijoux, matériaux précieux: 7 perles de verre, 4 avec incrustation d'or, 1 petite pierre de quartz, 3 cristaux de pyrite
La vie après la mort
La conception dualiste de la mort avec d'une part un corps en décomposition et de l'autre une âme qui survit, est tout à fait invraissemblable à l'Âge Viking. Le défunt vit et habite dans sa tombe de façon pleinement corporelle. Et cette tombe est aussi une passerelle qui relie le monde des vivants et le royaume des morts. Mais pour les vivants, demeurer avec les morts ou à proximité, était pour le moins équivoque.
Les sagas, rédigées après l'Âge Viking et bien qu'influencées par le christianisme, témoignent du prolongement de l'existence après la mort, de différentes sortes de lieux qui accueillent les défunts - tantôt sordides, tantôt idylliques - et d'un culte des ancêtres.
Ce que ne disent pas avec précision les sources écrites, c'est le temps que les défunts étaient censés passer dans leur tombe avant de partir pour le royaume des morts. Il semble que la célébration du sjaund, 7 jours après les funérailles, ait marqué le début du voyage du disparu vers l'au-delà, alors que le hugr de la personne décédée ne pouvait se mettre en route qu'une fois le corps décomposé, ou brûlé en cas de crémation.
Cependant, de nombreux récits évoquent la manière dont les vivants entraient en contact avec les morts au seuil de leur dernière demeure et, a contrario, les moyens qu'ils avaient de se protéger de ceux qui revenaient avec de mauvaises intentions, insatisfaits de leur nouvel état ou des honneurs qui leur étaient rendus.
Les royaumes des morts dans la mythologie nordique
Avant la conversion au christianisme, l'entrée (ou non) dans l'un des royaume des morts ne dépend pas du jugement de l'âme du défunt mais s'inscrit plutôt dans la continuité de la vie qu'il a mené ou des circonstances de son décès.
Le royaume des morts peut se situer à l'intérieur d'une montagne, de l'autre côté de la mer, dans les cieux, ou dans le monde souterrain. La représentation idyllique de l'au-delà la plus récurrente dans les croyances populaires est celle d'une plaine verdoyante et lumineuse.
Il existe de nombreux noms pour désigner cet au-delà plus ou moins accueillant. Voici les principaux:
La Valhöll
Demeure du père des dieux, Odin
- Le Valhalla (ou la valhöll), dans la demeure éclatante (Gladsheim) du dieu Odin, accueille la moitié des guerriers morts au combat.
La Valhöll se situe dans la partie d'Asgarð appelée Gladsheim. La salle est couverte de lances et de boucliers, et sur les bancs qui s'y trouvent il y a des armures. L'une des portes de la Valhöll s'appelle Valgrind; devant elle, il y a un loup et au-dessus plane un aigle.
Les valkyries amènent les héros morts au combat (les einherjar) à Odin dans cette salle où on leur sert la viande du sanglier Saehrimmir préparé par le cuisinier Andhrimnir dans le chaudron Eldhrimnir. Tous se rassasient de la viande du sanglier qui se renouvelle continuellement. Avec cela, les einherjar boivent de l'hydromel qui coule des pis de la chèvre Heidrun, laquelle se tient sur le toit de la Valhöll et broute les feuilles de l'arbre Laeradr à l'instar du cerf Eikthyrnir. Odin, quant à lui ne boit que du vin et de son repas il nourrit les loups Geri et Freki.
Les einherjar se combattent toute la journée, mais le soir ils sont tous à nouveau vivants et trinquent ensemble à l'hydromel. Lors des Ragnarök, les einherjar sortiront 800 à la fois par chacune des 540 portes de la Valhöll et combattront au côté des dieux.
Fólkvangr
Champ de la déesse Freyja
- Le Fólkvangr, la plaine du peuple de la déesse Freyja, accueille l'autre moitié des guerriers morts au combat.
Dans ce champ se trouve la salle de Freyja, appelée Sessrúmnir, et remplie de nombreux sièges, où il règne la même convivialité qu'à la Valhöll.
Ce séjour aurait également été réservé aux femmes ayant succombé à une mort noble.
Helgafjell
Montagne sacrée
- Le Helgafjell, la montagne sacrée accueille les membres disparus d'une famille ou d'un même clan.
Dans ce lieu, les membres des clans nordiques mènent des vies similaires à celles qu'ils ont vécue dans le monde des vivants.
Cette montagne est si sacrée que les gens ne pouvaient pas regarder dans sa direction sans se laver au préalable le visage.
Toutefois, certaines personnes avec un don de voyance étaient en capacité d'observer ce qui se passait dans la montagne, où les défunts buvaient et discuter allègrement autour d'un foyer.
De nos jours, c'est le nom d'un volcan inactif situé sur l'île islandaise de Heimaey.
La mer
Le royaume de Rán
- Le royaume de la déesse Rán, accueille ceux qui sont morts noyés en pleine mer.
Rán, dont le nom signifie "rapt", est l'épouse du géant de la mer, Ægir, et la mère des vagues. Elle possède un filet pour prendre les hommes tombés à la mer et les entraîner au fond.
Les Vikings croyaient que si les morts "revenaient" assister à leur propre banquet de funérailles, cela signifiait qu'ils avaient été bien accueillis par la déesse.
Hel
Le royaume souterrain de la déesse Hel
- Le royaume souterrain de la déesse Hel accueille ceux qui meurent sur la terre ferme de maladie ou de vieillesse.
La déesse qui règne en ce lieu est une créature hideuse, fille de Loki et d'une géante, à la peau teintée de bleu-noir.
Le séjour de Hel est fermé par une grille Hellgrindr, appelée aussi "la grille des cadavres" (Nagrindr) ou "la grille des occis" (Valgrindr). Les morts l'atteignent en passant le Gjallarbrú, le pont aux piliers d'or qui passe par-dessus la rivière Gjöll et en empruntant le Helveg ("la route de Hel").
Cette route glacée et glissante a donné naissance à la tradition consistant à chausser les pieds des défunts de "chaussures pour Hel". Un grand nombre de crampons ont été découverts dans les sépultures.
La grande salle glaciale de la déesse s'appelle Eljuðnir ("humide"), le seuil Fallandaforað ("obstacle"), le lit Kör ("maladie") et le rideau du lit Blikjanda-bölr ("blême malheur"), le nom de son assiette et de son couteau signifie "faim". Elle a à son service Ganglati ("le lambin"), et Ganglöt ("la paresseuse").
N.B: La croyance au royaume des morts (Hel) est influencée dans les sources médiévales telles que l'Edda de Snorri Sturluson par les concepts du christianisme.
Le Náströnd
La rive des cadavres
- Le Náströnd, la rive des cadavres, accueille les parjures.
Il s'agit d'une grande salle située dans ou à proximité du royaume de Hel, dont la porte est orientée au Nord et dont les murs sont faits de serpents entrelacés. Leur venin forme un fleuve dans lequel marchent les condamnés et le serpent Nidhögg vient se repaître du sang de leur cadavre.
La symbolique de la porte
Dans la mythologie nordique, la tombe est appelée daudradura, la "porte des morts". Ce concept se retrouve dans plusieurs récits des sagas et est attesté par l'analyse de découvertes archéologiques.
Ibn Fadlan rapporte que l'esclave choisie pour accompagner son maître dans la tombe fut guidée vers un portail en bois installé devant le bateau-tombe, puis soulevée pour regarder par-dessus, ce qui lui permit de voir son maître dans le royaume des morts et de l'entendre l'appeler.
Un autre portique en bois est documenté par la fouille du tumulus d'Oseberg. Des dépôts de pollens, différents entre la partie avant et la partie arrière du bateau, ont montré que le tumulus serait resté à moitié ouvert tout le temps des rituels funéraires. Une structure en bois se trouvait sur le pont donnant accès, comme le ferait une porte, à la sépulture enfouie sous l'autre moitié du monticule.
Dans la saga islandaise d'Hervor et du roi Heidrekr, Hervor convoque son défunt père sur son tumulus et tandis qu'il s'approche, elle s'exclame: " La porte de Hel est ouverte, les tumulus sont en train de s'ouvrir". L'histoire relate qu'il lui semblait se trouver "entre les mondes". Dans l'Edda de Snorri, le dieu Odin se présente devant l'entrée de Hel où se trouve le tumulus d'une défunte völva et la convoque en ces termes : "Parle-moi depuis Hel, je parlerai depuis le monde".
La symbolique de la porte correspond à une conception du tombeau tel un entre-deux, une passerelle qui rend perméable le monde des vivants et le royaume des morts l'un à l'autre.
Le culte des ancêtres
Dans les croyances populaires, le défunt est en relation concrète avec le monde des vivants qui assure sa subsistance par des offrandes, comme s'il menait une vie en parallèle plus ou moins identique. Il est dans la pleine possession de son corps et éprouve des besoins, lesquels correspondent à ceux des vivants: il connaît la faim et la soif, et il souffre du froid et de l'humidité (second chant d'Helgi 54).
Le défunt défend son tumulus contre les pilleurs de tombes et veille sur les siens. Il continue d'exister à travers ses oeuvres, sa gloire et ses descendants, en transmettant le plus souvent, comme le veut la coutume, son nom à ses petits-enfants.
Les exemples d'intervention des ancêtres en faveur de leur lignée ne sont pas très fréquents dans la littérature nordique ancienne (cf. Landnámabók H19, Grettis saga 18, saga de Víga-Glúms 26, saga de Þorsteins 7), mais ils montrent cependant que la croyance en une relation ininterrompue avec les morts existait encore, même après la conversion au christianisme, tout en soulignant l'importance déterminante du clan.
Les rêves, au même titre que les visions et les apparitions, sont considérés comme des manifestations de communication active, voire directe avec les morts. Les vivants convoquaient aussi délibéremment les morts pour les consulter au sujet de l'avenir et d'autres sujets, comme s'assurer de leur protection ou pour obtenir de bonnes récoltes, etc... La nécromancie est une pratique courante à l'Âge Viking, attestée par les sources écrites comme la saga d'Hervor et du roi Heidrekr déjà mentionnée.
Lorsqu'il apparaît, le défunt ressemble généralement à son cadavre: ceux qui se sont noyés apparaissent complètement trempées (saga Eyrbyggja, saga de Laxdæla), ceux qui ont été tués se présentent tout ruisselant du sang de leurs blessures (saga de Gunnlaugr Ormstunga, second chant d'Helgi 44, 46).
Les revenants
Il y a un revers à la médaille dans ce culte des ancêtres. Le monde des vivants semblait redouter que certains défunts qui n'acceptaient pas leur sort reviennent parfois les hanter sous une forme incarnée, hideuse et pestilentielle: le draugr, aussi appelé aptrgangr ("celui qui marche à nouveau").
"Le draugr souffre de cet état parce qu'il n'est pas content de son sort dans l'au-delà et qu'il a un contentieux à régler: on lui a fait du tort avant sa mort et il n'est pas vengé, ou bien il est insatisfait de la conduite de ses héritiers, de la manière, notamment, dont ils gèrent le patrimoine qu'il leur a laissé. Il se manifeste surtout la nuit, bien entendu, ou en hiver quand il fait sombre. Il importe de s'en protéger et de s'en défendre car il viole la paix que chacun porte en soi, il attente à la mannhelgd du vivant, d'autant qu'il est, si l'on ose dire, contagieux: il a la faculté de transformer ses victimes en draugar à leur tour!", écrit Régis Boyer.
>>> Zoom sur le draugr
Le draugr est un cadavre animé qui, contrairement à un fantôme, a un corps avec des capacités physiques similaires à celles d'un vivant et qui, contrairement à un mort-vivant, semble conserver un semblant d'intelligence. Il est doté d'une force surhumaine, capable d'augmenter sa taille et son poids à volonté et fait montre d'une faim contre-nature qui est peut-être une manifestation physique de son désir de vivre. Il a de nombreuses capacités magiques (appelées trollskap) semblables à celles d'un sorcier, comme la métamorphose en animal, le contrôle des éléments climatiques, la capacité à voir l'avenir, à jeter des sorts, à prononcer des malédictions et à entrer dans les rêves des vivants en laissant un une trace de son passage pour la personne soit assurée du caractère tangible de sa visite. Certains draugar sont immunisés contre les armes.
La demeure du daugr est un tumulus dans lequel il garde jalousement ses biens, et parfois un trésor. Il agit surtout pendant la nuit, même s'il ne se montre pas vulnérable à la lumière du jour. Il peut tuer sa victime de différentes manières, notamment en l'écrasant par ses grandes dimensions, en dévorant sa chair ou en la mangeant toute entière, en la rendant folle à mourir ou en buvant son sang. Ses victimes ne se limitent pas aux intrus dans sa demeure. Même les animaux et le bétail qui cherchent à se nourrir trop près de la tombe d'un draugr peuvent devenir fous à mourir.
L'un des draugar les plus connus se nomme Glámr; il sera vaincu par le héros de la Grettis saga. Glámr est parfois comparé à Grendel vaincu par le héros Beowulf, personnage éponyme du célèbre poème anglo-saxon.
Le revenant en mer est réputé nager à côté des bateaux ou naviguer seul autour d'eux dans une embarcation partiellement submergée. Parfois, il prend l'apparence d'algues ou de pierres couvertes de mousse sur le rivage.
Une variante du draugr, moins citée dans les textes, est le haugbui (du vieux norrois haugr, "tumulus"). S'il partage certains caractéristiques avec le draugr telle que les pouvoirs de nature magique, le haugbui est incapable de quitter sa tombe et n'attaque avec ses dents et ses griffes que ceux qui pénètrent dans sa demeure.
Néanmoins, les vivants n'étaient pas impuissants face à eux. Il existait différentes méthodes pour empêcher ce phénomène d'arriver. L'une d'entre elles consistaient à immobiliser la dépouille dans la tombe en lestant le corps à l'aide de lourdes pierres dans le tombeau, et une autre à placer la tête du défunt entre ses jambes ou ses pieds. Le recours à ces pratiques dans les tombes scandinaves dès la fin de l'Âge du Fer est attestée sur le plan archéologique.
À Gerdrup, à 10 km au nord de Roskilde sur l'île danoise de Sjælland, une femme enterrée avec un homme ont été découverts en 1981 dans une tombe datant du IXème siècle. Les deux gisaient sur le dos, la tête tournée vers le nord.
- L'homme, âgé de 35 à 40 ans, avait les chevilles croisées comme si ses pieds avaient été attachés et sa tête, reposant anormalement sur son l'épaule gauche, indique qu'il a eu la nuque brisée. Seul un couteau en fer a été déposé sur sa poitrine en guise d'offrande funéraire. Il serait mort par pendaison soipourrait s'agir du sacrifice d'un esclave, d'un condamné à mort par pendaison, ou bien d'un suicide.
- La femme, âgée d'environ 40 ans, devait pourtant ressembler de son vivant à une vieille femme en raison d'une bouche partiellement édentée depuis plusieurs années. L'analyse de la région pelvienne, indique qu'elle a accouché au moins une fois. Ses biens funéraires comprennent des fragments de crâne d'un mouton, un couteau en fer, un étui à aiguilles, et le long de la jambe droite une pointe de lance en fer de 37 cm de long, symbole d'une guerrière pour les uns, ou d'une sorcière pour les autres, mais dans tous les cas une personne de haut rang. La cause de son décès n'a pas pu être identifiée mais elle avait 2 grosses pierres sur la poitrine et 1 sur sa jambe droite.
D'après les chercheurs, il pourrait s'agir de personnages hostiles, malfaisants ou de personnes étrangères, traités comme tels jusque dans la mort. La tombe est placée dans un endroit isolé, vierge de vestiges d'habitations, le corps de la femme a été immobilisé par des pierres et les pieds de l'homme ont été attachés comme pour s'assurer qu'ils ne sortiraient pas de leur tombe et qu'ils ne viendraient pas hanter les vivants.
Dans le folklore islandais, le draugr pouvait être vaincu par le fer à condition de l'attaquer au corps à corps. Mais cela n'était pas suffisant; le héros devait ensuite décapiter le revenant, de préférence avec une épée trouvée dans le propre tumulus de la créature. La dernière étape consistait à brûler ses restes, puis à enterrer les cendres dans un endroit éloigné ou de les jeter à la mer.
Après la conversion au christianisme
La conversion au christianisme entraîna un certain nombre de changements dans les coutumes funéraires. Parmi les plus notables, l'abandon de la crémation et la disparition des dépôts de biens et d'offrandes funéraires dans les sépultures.
Un autre changement majeur concerne les funérailles et les lieux de sépultures, retirés de la ferme familiale et de la sphère privée pour prendre place dans un lieu dédié, commun à tous et proche du lieu de culte du dieu unique: le cimetière. Un point d'autant plus important que, dans la tradition chrétienne, l'inhumation en terre consacrée est une condition préalable à la résurrection des corps après le Jugement dernier.
Par ailleurs, les chrétiens étaient enterrés selon une orientation Est-Ouest alors que les "païens" l'étaient plutôt selon une orientation Nord-Sud.
Enfin, l'ancienne loi chrétienne du Gulathing en Norvège, préservée dans des manuscrits du début du XIIIème siècle, interdira en toute logique de "réveiller les cadavres ou ceux qui vivent dans les tumuli", mais cela indique que cette pratique intrinsèquement liée aux tertres funéraires païens est malgré tout restée vivace plusieurs siècles encore après la christianisation.
Sources
- Dictionnaire de la Mythologie Germano-scandinave Tomes 1 et 2, Rudolf Simek, éd. du Porte-Glaive
- Les Vikings, Histoire, Mythes, Dictionnaire, de Régis Boyer, éd. Robert Laffont p. 636 - 643
- La Mort chez les Anciens Scandinaves, de Régis Boyer, éd. Les belles Lettres
- Nous les appelons Vikings, ss la dir. de Gunnar Andersson, éd. du Château des ducs de Bretagne, p.143-168
- Voyage chez les Bulgares de la Volga, Ibn Fadlan, éd. Sindbad
- The Road to Hel: A Study of the Conception of the Dead in Old Norse Literature, Hilda Ellis Davidson, éd. University of Michigan Press. p. 161 à 163
- Norse Ghosts: A Study in the draugr and the haugbui, Nora K. Chadwick, Folklore Vol. 57
- gravøl
- Oseberg - In the grave, Oseberghaugen
- Viking women
- The Walking Dead: draugr and Aptrgangr in Old Norse Literature
- Deviant burials in Viking Age Scandinavia
- Homicide and Suicide in Viking Age Scandinavia
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Synthèse et mise en page: Kernelyd. Créé le 27/04/2016 - Mis à jour le 28/11/2021.
À la mémoire de Françoise Jalbert
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