L'art viking
Sommaire
Le caractère prédominant de l'art scandinave de l'époque viking est soit d'origine culturelle et religieuse, soit purement ornemental. De fait, dans la majorité des cas, l'art viking s'exprime dans la décoration d'objets de la vie quotidienne, traduisant alors l'exubérance décorative de l'artisanat.
Presque tous les matériaux peuvent être décorés, ivoire de morse, pierre, métaux précieux, bois. La céramique, par contre, a un répertoire formel assez pauvre.
L'art viking se caractérise par un mélange d'éléments ornementaux appartenant au répertoire de la tradition scandinave et de motifs provenant de répertoires étrangers. Les emprunts artistiques proviennent surtout des décors anglo-saxons et de l'art ornemental carolingien et ottonien, transmis grâce à de nombreux contacts favorisés, entre autres, par le commerce et les missionnaires de domaines culturels limitrophes. Cependant, l'art décoratif oriental n'a été que très peu copié en Scandinavie et l'art russe, byzantin ou slave, n'a pas eu d'échos particuliers sur l'évolution de l'art scandinave à l'Âge Viking.
Le répertoire de formes des styles vikings se compose de différentes sortes de motifs:
- Les motifs zoomorphes (essentiellement quadrupèdes, oiseaux et serpents), survivances de représentations animales autochtones antérieures, sont prédominants et fondamentaux.
- Les motifs géométriques (entrelacs, spirales) ont une fonction décorative accessoire, et sont cantonnés aux pourtours des représentations figurées ou sont un élément de remplissage à l'intérieur d'une composition.
- Les motif végétaux (vrilles, feuilles et palmettes), empruntés au répertoire anglo-saxon (la vigne) et au répertoire carolingien et ottonien (feuilles d'acanthe), ont également une fonction décorative accessoire.
- Les représentations anthropomorphes sont isolées et n'ont pas de signification stylistique déterminante.
Chronologie des styles d'art viking
Les styles d'art vikings se sont développés suivant des étapes à la fois géographiques et chronologiques, à partir du début du IXème siècle et jusqu'à la seconde moitié du XIème siècle, disparaissant avec l'épanouissement de l'art roman.
- le style de Broa: 750 à 825
- le style de Berdal /Oseberg: 800 à 875
- le style de Borre: 850 à 950
- le style de Jelling: 900 à 975
- le style de Mammen: 950 à 1025
- le style de Ringerike: 1000 à 1075
- le style d'Urnes: 1050 à 1125
Les styles d’art se chevauchent, avec deux et parfois trois styles restant à la mode en même temps.
Les styles de l'art ornemental viking
Le style de Broa, 750 - 825
Une sépulture située à Broa, sur l'île de Gotland (Suède), dans laquelle ont été découvertes des garnitures de harnais en bronze doré de grande qualité, donne son nom au style de Broa.
Il marque la toute première phase de l'art viking et possède encore de nombreuses affinités avec le décor animalier nordique (style de Salin III).
Caractéristiques
Les surfaces à décorer sont divisées en plusieurs plages ornées, chacune, d'un motif particulier.
L'animal est le sujet principal et se décline selon 3 variantes:
- un animal au corps rubané, aux contours en S, avec une exagération prononcée de la poitrine et de l'articulation de la jambe; sa silhouette se disloque souvent et s'allonge de manière à créer un treillis assez lâche qui occupe la surface impartie.
- un animal dont la représentation est plus naturaliste et plus répandue par les enluminures, les bronzes et l'orfèvrerie des civilisations continentales.
- une figure animale dite du "Greiftier" ou bête agrippeuse, généralement un animal de la famille des félins qui étend ses pattes autour de lui afin d'enserrer les figures animales les plus proches. Le motif très semblable de l'écureuil dans le répertoire ornemental anglo-saxon, a peut-être été à l'origine de cet être fabuleux.
Le style de Berdal /Oseberg, 800 - 875
Un site de fouilles situé à Berdal, dans le Sud-Ouest de la Norvège donne son nom au style de Berdal. Ce style est plus volontiers nommé style d'Oseberg avec la découverte des impressionnants témoignages artistiques de la célèbre sépulture d'Oseberg mise au jour dans le comté du Vestfold en Norvège.
Caractéristiques
- La multiplication des motifs du "Greiftier" qui créent un décor tapissant.
- Des parties du corps (haut du corps, ventre et cuisses) sont accentuées et liées entre elles par un réseau de minces baguettes.
- Les oreilles sont souvent exgérées.
- Les têtes, disproportionnées et triangulaires, sont représentées de face ou en vue plongeante.
- Les boucles sont utilisées de façon atténuéeé par rapport au style précédent.
Le style de Borre, 850 - 950
La tombe royale de Borre dans le fjord d'Oslo en Norvège où un ensemble de garnitures en bronze a été découvert donne son nom au style de Borre.
C'est le premier style viking à s'étendre aux régions situées dans la sphère d'influence scandinave.
Caractéristiques
Le motif du "Greiftier" connaît une transformation significative. La représentation animalière à tendance naturaliste et les motifs de rubans tressés empruntés à l'Europe occidentale sont privilégiés, "revus et corrigés" pour créer un type de frise très particulier.
- Les têtes de forme triangulaire ont d'immenses oreilles et sont représentées de manière frontale; mais ces êtres n'occupent plus l'espace avec autant de force et forment, par l'attitude enroulée de leur corps, une composition fermée sur elle-même.
- L'articulation du corps est toujours fortement affirmée.
- Les pattes saisissent le corps replié de l'animal de manière à créer une figure en forme de "bretzel".
- Les motifs végétaux sont issus essentiellement de modèles carolingiens, comme en témoignent les découvertes archéologiques de garnitures de ceintures et d'épées trilobées et lancéolées, ornées de feuilles d'acanthe.
> Le style de Borrre est le plus ancien style scandinave qui ait été adopté en Islande, en Angleterre et en Russie.
Les entrelacs de Gaut
En Grande-Bretagne, une forme insulaire du style Borre s’est développée, connue sour le nom de "entrelacs de Gaut". Ce style tire son nom de la Croix de Gaut, découverte sur l’Île de Man. Gaut est également le premier nom d’un artiste viking connu.
Le style de Jelling, 900 - 975
La sépulture royale de Jelling dans la province du Jutland, au Danemark, où une petite coupe en argent a été découverte, donne son nom au style de Jelling.
Caractéristiques
Une nouvelle variation du thème animalier, influencée par l'Angleterre où se sont établis un certain nombre de Scandinaves, apparaît et se détache de la figure du "Greiftier.
- La figure animale est représentée toujours de profil et est très stylisée en forme de S.
- Le corps est rubanné dans une symétrie diagonale
- Une houppe de poils orne la nuque
- Une spirale souligne l'articulation des hanches.
> L'art ornemental du style de Jelling porte les germes de l'évolution ultérieure au cours de laquelle les représentations naturalistes s'imposent au détriment de l'ancienne représentation plus abstraite du "Greiftier".
>>> Le trésor de Vårby
Le style de Jelling se développe parallèlement au style de Borre et ont occasionnellement fusionné. Le trésor de Vårby recèle un pendentif plaqué en argent avec une bête dans le style Jelling, avec sa tête de profil, un corps en forme de ruban et une natte, mais aussi avec des pattes agrippantes dans le style de Borre.
Le style de Mammen, 950 - 1025
La tombe de Mammen dans le Jutland, au Danemark, dans laquelle une tête de petite hache d'apparat en damasquinure d'argent a été découverte, donne son nom au style de Mammen.
Caractéristiques
- L'anatomie des animaux représentés est certes encore imprécise mais mieux proportionnée et donc plus identifiable (animaux de proie, serpents et oiseaux).
- Les animaux sont représentés, pour la plupart, redressés et gueule béante.
- Une grande spirale souligne l'articulation des hanches et le corps est décoré de points.
- Des motifs rubanés s'entremêlent aux figures animales et s'avèrent être des prolongements de leur propre corps (ailes, queue).
- Le décor végétal - tiges et rubans en forme de vrilles, feuilles enroulées et palmettes- s'installe définitivement dans l'art viking, non plus subordonné à une figure central, mais comme motif ornemental à part entière.
- Au sommet de la hache de Mammen se trouve un masque humain qui est représenté avec des yeux ronds, un grand nez et une barbe en spirale.
> Le style de Mammen est une évolution du style de Jelling et il peut parfois être difficile de les différencier.
Le style de Ringerike, 1000 - 1075
A l'inverse des autres styles, celui de Ringerike est le seul qui ne doive pas son nom à une découverte. C'est la région de Ringerike en Norvège, d'où provient le grès rose utilisé pour plusieurs pierres commémoratives décorées dans ce style, telles que celle d'Alstad et de Vang, qui a donné son nom au style de Ringerike.
Caractéristiques
- Le style de Ringerike reprend la plupart des éléments de composition du style de Mammen
- Les animaux sont plus clairsemés mais plus plantureux.
- Les corps ne sont plus décorés à l’intérieur.
- Les yeux sont en amande au lieu d’être ronds.
- Les courbes deviennent plus minces et plus longues.
- Les crinières, les houpettes et les queues effilochées s'achèvent par des pointes enroulées pour se confondre avec l'ornement végétal.
- Les formes végétales sont plus prononcées.
- Les motifs ornementaux non figuratifs sont assemblés selon des règles de symétrie afin de créer un un effet tournoyant et dynamique qui n'existe pas dans le style de Mammen.
Le style d'Urnes, 1050 - 1125
Les vestiges de la première église de bois debout d'Urnes, en Norvège, qui furent réutilisés lors de la construction de l'église en bois du XIIème siècle sur le même site, donnent leur nom au style d'Urnes.
> Le style d’Urnes est la dernière phase de l’art Viking et est un perfectionnement du style Ringerike se caractérisant par l’entrelacement gracieux de lignes courbes.
Caractéristiques
- Le principal motif, à l'opposé des styles de Mammen et de Ringerike, est essentiellement animalier (quadrupèdes comprenant des lions, animaux filiformes et serpents).
- Le dragon ailé fait son apparition pour la première fois en Scandinavie, sous la probable influence des pays anglo-saxons.
- La tête et les pattes vont s'amincissant et se réduisent presqu'à un fil à leurs extrêmités.
- Les yeux en amande s'aggrandissent légérement.
- La spirale qui marque la hanche est toujours utilisée mais moins prononcé.
- Le schéma fondamental repose sur de grandes boucles ouvertes en forme de 8 où d'autres animaux s'entrelacent en se mordant.
- La croix est souvent utilisée et se retrouve sur 65% des 1100 pierres commémoratives de la province suédoise d'Uppland.
Le style d’Urnes a été couramment employé sur des pierres runiques, et l’inscription runique était alors inscrite dans le corps de l’animal. Un exemple excellent est la pierre runique à la croix chrétienne de Lingsberg (Uppland), en Suède, avec deux animaux dans le style d’Urnes portant une inscription runique.
Avec cette dernière phase de l'époque viking s'achève l'art ornemental scandinave indépendant.
L'art figuratif
Il n'y a que de rares vestiges témoignant de l'art figuratif à l'Âge Viking, ce qui ne signifie pas pour autant que ce fut un art mineur, bien au contraire.
Des sources littéraires décrivent des scènes peintes sur des boucliers ou représentées sur des broderies et des tapisseries tendues dans les halles des chefs.
- Les tapisseries
Un fragment de la tapisserie de Tune, en Norvège, donne à voir un groupe d'hommes et de femmes à côté d'un bateau.
D'autres fragments de la tapisserie d'Oseberg montrent des hommes, des femmes, des guerriers et des cavaliers, ainsi que des chevaux et des chariots, pouvant aussi bien figurer une procession religieuse qu'illustrer l'époque de l'expansion et ses grandes invasions.
- Les pierres commémoratives
L'iconographie préchrétienne des pierres commémoratives de l'île de Gotland (Suède), à la fin du VIIIème siècle et au début du IXème siècle, a pour thème dominant bateaux et cavaliers, des représentations devant symboliser à la fois le départ du défunt vers la valhöl et son statut social.
D'autre part, les pierres historiées de Gotland présentent un grand nombre de scènes mythologiques et héroïques. Dans la province de l'Uppland (Suède), la pierre runique d'Altuna, érigée au XIème siècle, illlustre précisément le mythe de la pêche de Thor.
Quelques pierres historiées anglo-scandinaves du nord-ouest de l'Angleterre et de l'île de Man, entre le IXème et le milieu du Xème siècle, présentent des motifs qui se retrouvent en Scandinavie au XIème siècle, et qui consistent en des scènes de chasse et des représentations de la légende de Sigurd.
La grande pierre runique de Jelling (Danemark), érigée vers 960-970, marque l'avènement de l'iconographie d'inspiration chrétienne en présentant une scène de la Crucifixion. La pierre commémorative de Dynna (Norvège), vers 1025-1050, indique que le thème de l'adoration de Jésus par les rois mages était connu en Scandinavie au XIème siècle.
Au cours de la même période, des planches murales dans l'église de Flatatunga (Islande) représentent une série de saints, à l'instar des décorations des églises en Europe.
Le passage à l'art roman
Dans le domaine de l'art ornemental, les ateliers scandinaves se sont efforcés de combiner le langage du style d'Urnes aux motifs romans jusqu'à la seconde moitié du XIIème siècle. Les motifs ornementaux furent renouvelés grâce notamment à la grande richesse du monde animalier roman.
Dans le domaine de l'art figuratif, les différences entre l'époque viking et la période romane furent plus profondes.
L'iconographie chrétienne a probablement constitué une innovation en Scandinavie même si les motifs chrétiens n'étaient pas inconnus à l'époque viking. Quant aux représentations profanes de la seconde partie de l'Âge Viking, certaines furent réutilisées dans l'art religieux telles que la légende de Sigurd dont plusieurs scènes illustraient l'encadrement du portail de l'église de Hylestad à la fin du XIIème siècle.
Lorsque l'art roman pénétra en Scandinavie au cours de la première moitié du XIIème siècle, en provenance essentiellement d'Allemagne et d'Angleterre, il représenta un enrichissement des oeuvres nordiques, dont il n'était d'ailleurs pas radicalement différent.
Sources
- Vikings, par Arnold Muhl, commissaire allemand de l'exposition, n° spécial de "Connaissances des Arts".
- Les Vikings... Les Scandinaves et l'Europe 800-1200, "L'Art" par Signe Horn Fuglesang
- L'art Scandinave, Tome 1, de Peter Anker, éditions du Zodiaque
- Archaeology in Europe
- The Anatomy of Viking Art
Articles connexes sur Idavoll
- Danemark - 17 couleurs de l'Âge Viking recréées par des chercheurs
- Science - Les couleurs à l'Age Viking font débat parmi les scientifiques
- Bibliographie Art et Artisanat
Rédaction, traduction et mise en page: Kernelyd. Créé le 22/09/2011 - Mis à jour le 07/05/2021
Commentaires
-
- 1. Loulou Le 28/01/2024
Très précis, le top ce serait d'avoir plus d'images représentatives de chaque styles pour comparer.
Enfin une source qui traite en détail des styles artistiques vikings. -
- 2. DONNART Jean Jacques Le 26/02/2023
Superbe chronologie de l'art Viking, cela va m'aider à créer ma fiche sur l'histoire des bijoux pour la période Vikings
Merci pour ce beau travail. -
- 3. Pourtier Renaud Le 11/01/2019
Excellente synthèse, claire, précise. Vraiment du bon travail !
Ajouter un commentaire