Royaume-Uni - L'histoire des anciens Scandinaves et de la diaspora viking reconstituée en haute résolution grâce à la génomique
- Le 14/01/2025
- Dans Sciences et Société
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Dans le cadre des recherches menées par le Francis Crick Institute de Londres, une nouvelle méthode d'analyse de données mesurant plus précisément les différences entre des groupes génétiquement similaires, a révélé des détails jusqu'alors inconnus sur les vagues de migrations en Europe au cours du premier millénaire de notre ère.
L'équipe de chercheurs, composée de scientifiques anglais et d'archéologues suédois, a appliqué une nouvelle méthode appelée Twigstats à plus de 1500 génomes européens de personnes ayant vécu principalement au cours du premier millénaire de notre ère (de l'an 1 à l'an 1000), englobant l'Âge du Fer, l'Empire romain et l'Âge Viking.
Les résultat qu'ils ont obtenus ont été publiés le 1er Janvier 2025 dans la revue scientifique Nature.
"Nous disposions déjà d'outils statistiques fiables pour comparer la génétique entre des groupes de personnes génétiquement très différentes, comme les chasseurs-cueilleurs et les premiers agriculteurs, mais de solides analyses des changements de population à plus petite échelle, comme les migrations que nous révélons dans cet article, ont été largement occultées jusqu'à présent", a souligné Leo Speidel, l'un des auteurs de l'étude, ancien chercheur postdoctoral au Crick et à l'UCL et désormais chef de groupe au RIKEN, au Japon.
Comment fonctionne Twigstats ?
Plus les individus partagent de mutations génétiques -c'est-à-dire de différences dans leur ADN- avec une autre personne, plus ils ont tendance à être proches. En effet, ils héritent de leur ADN par l'intermédiaire de leurs ancêtres et donc des mêmes mutations qu'eux. Cet ADN est donc un substitut des "arbres généalogiques" génétiques qui les relient tous.
Au cours des dernières années, les scientifiques ont trouvé des moyens de reconstituer directement ces arbres généalogiques génétiques en étudiant la manière dont les mutations sont partagées entre les individus, reliant ainsi l'ADN actuel à celui des peuples anciens. Ces arbres généalogiques génétiques montrent l'ancienneté des mutations et les personnes qui les partagent.
Twigstats examine directement ces arbres généalogiques génétiques pour déterminer de qui l'ADN a été hérité. Cette nouvelle approche étudie donc les mutations plus récentes pour révéler les liens entre les personnes qui ont vécu plus près les unes des autres dans le temps.
Du nord vers le sud
Les peuples germanophones se sont déplacés vers le sud au début de l'Âge du Fer. Les sources écrites romaines font état de conflits avec les groupes germaniques situés en dehors des frontières de l'Empire qui était, au début du premier millénaire, florissant.
Grâce à Twigstats, les scientifiques ont pu découvrir des vagues de migration de ces groupes vers le sud, depuis le nord de l'Allemagne ou de la Scandinavie, au début du premier millénaire, ajoutant ainsi des preuves génétiques aux archives historiques.
Cette ascendance a été trouvée chez des personnes du sud de l'Allemagne, d'Italie, de Pologne, de Slovaquie et du sud de la Grande-Bretagne, avec une personne du sud de l'Europe portant une ascendance de type scandinave à 100 %.
Trois vagues de migration à travers l'Europe
Nombre de ces groupes ayant migré vers le sud se sont finalement mélangés avec les populations préexistantes, confirment les chercheurs.
Les deux principales zones de migration et d'interaction reflètent les trois principales branches des langues germaniques, dont l'une est restée en Scandinavie, l'autre s'est éteinte et une autre a constitué la base de l'allemand et de l'anglais actuels.
Dans la ville de York, en Grande-Bretagne, aux IIème et IVème siècles, 25 % des ancêtres d'un individu -qui fut peut-être un soldat romain ou un gladiateur esclave- provenaient de la Scandinavie du début de l'Âge du Fer.
Il y avait donc des personnes d'origine scandinave en Grande-Bretagne avant même la période anglo-saxonne, qui commence au Vème siècle de notre ère, et l'Âge Viking.
Une ascendance d'Europe centrale dans le sud de la Scandinavie
Twigstats a également permis aux chercheurs de découvrir une vague supplémentaire de migration vers le nord, en Scandinavie, à la fin de l'Âge du Fer (300-800 après J.-C.) et donc juste avant l'Âge Viking.
Cela signifie que de nombreux individus de l'époque viking dans le sud de la Scandinavie avaient des ancêtres d'Europe centrale. "Notre analyse indique un impact proportionnellement plus important de l'ascendance de la Grande-Bretagne de l'Âge du Fer dans le nord de la Norvège, le sud de la Scandinavie étant principalement influencé par les ascendances continentales d'Europe centrale", écrivent les auteurs dans leur étude.
Par ailleurs, un autre type d'analyse biomoléculaire des dents leur a permis d'établir que les personnes enterrées sur l'île suédoise d'Öland avec une ascendance d'Europe centrale, avaient grandi localement, suggèrant que cet afflux de personnes vers le nord ne fut pas un événement ponctuel, mais un changement durable dans l'ascendance.
D'après les chercheurs, les preuves archéologiques de conflits répétés en Scandinavie à cette époque suggèrent que de tels troubles ont pu jouer un rôle dans les mouvements de population. Mais davantage de données archéologiques, génétiques et environnementales leur seraient nécessaires pour faire la lumière sur les raisons pour lesquelles les gens se sont déplacés vers et autour de la Scandinavie.
De la diaspora viking
Traditionnellement, l'Âge Viking est associé aux mouvements vers l'Europe et aux implantations de groupes de population provenant de diverses régions de Scandinavie, rappellent les auteurs. Or, leurs travaux ont mis en évidence que de nombreuses personnes vivant en dehors de la Scandinavie pendant cette période présentaient un mélange d'ascendance locale et scandinave, ce qui corrobore les sources écrites historiques.
Les chercheurs ont, par exemple, trouvé des individus de l'époque viking à l’est (aujourd’hui l’Ukraine et la Russie) qui avaient des ancêtres originaires de la Suède actuelle, et des individus en Grande-Bretagne qui avaient des ancêtres originaires du Danemark actuel.
En Europe de l'Est, par exemple, ils ont répertorié un individu avec des ancêtres scandinaves mis au jour dans une sépulture de l'Âge Viking en Ukraine et plusieurs autres dans les sépultures de la même époque à Staraïa Ladoga, dans l'actuelle Russie. "L'absence relative d'ascendance d'Europe centrale de l'Âge du fer, qui était largement limitée au sud de la Scandinavie à l'époque viking, indique donc que ces individus pourraient être originaires des régions centrale/nord de la Suède ou de la Norvège, où les individus de l'Âge Viking présentent les profils d'ascendance les plus similaires aux leurs", relèvent les chercheurs.
En Grande-Bretagne, la grande majorité des individus retrouvés dans les deux fosses communes de la fin de l'Âge Viking à Ridgeway Hill, dans le Dorset, et au St John's College, à Oxford, avaient une ascendance typique de celle observée dans le sud de la Scandinavie.
Ancêtres anglais et nordiques à l'Ouest
Plus à l'ouest, dans les Îles Féroé, en Islande et au Groenland, les individus de l'Âge Viking ont également des ancêtres originaires de la péninsule scandinave, mais tandis que certains ont une ascendance liée à l'Europe centrale continentale trouvée dans le sud de la Scandinavie, d'autres partagent une ascendance substantielle avec la Grande-Bretagne de l'Âge du fer, soulignent les chercheurs.
"Contrairement aux hypothèses précédentes, nous avons trouvé un enrichissement marginal de l'ascendance liée à la Grande-Bretagne et à l'Irlande chez les hommes (15 hommes sur 17 et 3 femmes sur 6) avec au moins un modèle accepté impliquant la Grande-Bretagne de l'Âge du Fer ou de l'Âge romain comme source", écrivent-ils dans leur étude.
Selon eux, toutefois, un échantillonnage d’individus supplémentaires permettant d'améliorer la distinction entre les ancêtres anglais et nordiques serait nécessaire pour tester pleinement cette hypothèse.
"L’objectif était de mettre au point une méthode d’analyse des données qui permettrait d’obtenir une vision plus précise de l’histoire génétique à petite échelle. Des questions auxquelles il n’était pas possible de répondre auparavant sont désormais à notre portée, c’est pourquoi nous devons maintenant accroître le nombre de séquences de génomes anciens entiers", argue Pontus Skoglund, chef de groupe du laboratoire de Génomique ancienne du Crick et auteur principal.
Des preuves génétiques ajoutées aux récits historiques
"Twigstats nous permet de voir ce que nous ne pouvions pas voir auparavant, dans ce cas les migrations à travers toute l'Europe, originaires du nord de l'Europe à l'Âge du Fer, puis de retour en Scandinavie avant l'Âge Viking. Notre nouvelle méthode peut être appliquée à d'autres populations à travers le monde et, espérons-le, révéler d'autres pièces manquantes du puzzle", a déclaré Leo Speidel.
"Les sources historiques indiquent que la migration a joué un rôle dans la restructuration massive du paysage humain de l'Eurasie occidentale dans la seconde moitié du premier millénaire après J.-C., qui a créé les contours d'une Europe politiquement et culturellement reconnaissable, mais la nature, l'échelle et même les trajectoires des mouvements ont toujours été vivement controversées. Twigstats ouvre la possibilité passionnante de résoudre enfin ces questions cruciales", conclut Peter Heather, professeur d'Histoire médiévale au King's College de Londres et co-auteur de l'étude.
- Source: www.crick.ac.uk (traduction et réécriture / Kernelyd)
- Lire l'étude: www.nature.com
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