Norvège - La maison: entre architecture et rituels, une autre porte d'entrée dans l'Âge Viking
- Le 29/03/2019
- Dans Sciences et Société
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Par Marianne Hem Eriksen, professeure à l'Université d'Oslo
Les Vikings sont plus populaires que jamais. Des séries télévisées telles que The last Kingdom et Vikings sont venus ajouter une dimension dramatique aux explications historiques circonstanciées, tandis que les nouvelles découvertes archéologiques sont assurées de faire la une des journaux. Cela a récemment était le cas avec la découverte de nouveaux bateaux-tombes vikings et la possibilité que des femmes vikings aient participé à la guerre. Mais lorsque l'on parle des Vikings, on ne fait que répèter la plupart du temps des récits familiers de guerriers, de navires et de batailles. Certaines activités et espaces - souvent ceux habituellement associés aux hommes - sont considérés comme façonnant le cours de l'Histoire. Le foyer - traditionnellement associé aux femmes - est perçu comme banal et politiquement insignifiant.
Toutefois, la maison viking n'était pas un espace apolitique et neutre. C'était même une scène primordiale pour légitimer des hiérarchies, où certaines personnes étaient asservies et reléguées avec le bétail dans l'étable, alors que d’autres occupaient de hautes fonctions. C’était un monde à part - il existe de rares mais récurrents témoignages d’enterrement de bébés sous les foyers, d'artefacts magiques placés près des portes et de femmes se dressant au-dessus des seuils pour pouvoir parler aux morts.
Il est nécessaire de changer radicalement la perception de cette période charnière de l'histoire européenne en abordant l'Âge Viking du point de vue du foyer.
Les maisons comme espaces politiques
Malgré leur succès dans la culture populaire, la vie quotidienne des Vikings est rarement traitée et les villages sont souvent considérés comme familiers, harmonieux et peut-être un peu triviaux. Un ensemble de recherches soulève désormais de nouvelles questions sur le quotidien de la vie sociale et rituelle des Vikings.
Dans le cadre de la recherche pour mon livre Architecture, Society, and Ritual in Viking Age Scandinavia, Doors, Dwellings, and Domestic Space, le fait de compiler tous les vestiges archéologiques de maisons longues en Norvège a révélé quelque chose d'étrange et de plus puissant que ne le suggèrent les récits traditionnels.
La famille viking, bien que variée, n'était pas conforme à l'idéal de la famille nucléaire en Occident de nos jours. Les plus grands ménages pouvaient être composés d'un couple, de concubines, de subordonnés, d'ouvriers agricoles et de guerriers, d'animaux domestiqués, d'ouvriers itinérants, d'invités et des nombreux enfants des uns et des autres. Bien qu'ils vivaient sous un même toit, les tâches quotidiennes et l'architecture du lieu en elle-même créaient des seuils entre les groupes et rendaient les gens différents les uns des autres.
L’esclavage est un système complexe et il est difficile d'en donner une définition universelle. Mais il y avait des personnes non libres ("thrællar") parmi les membres de la famille viking, qui n’avaient aucun droit, dont les enfants étaient la propriété des chefs de famille, qu’il n’était pas criminel de tuer et qui pouvaient être sexuellement exploités par leurs propriétaires.
Les chercheurs ont établi que les thrællar habitaient dans une annexe avec un foyer à l'extrémité de l'étable de la maison longue, faisant partie spatialement et socialement des animaux. En effet, l'un des noms de thræll connus est Fjosnir, i.e "de l'étable".
De cette manière et plus encore, les maisons vikings généraient des contrastes entre propriétaires, personnes libres et esclaves - et ces différences dessinaient la société viking.
Habiter avec les morts
La maison viking n'était pas exclusivement le domaine des vivants. Dans les sagas des Islandais, il est question de l'homme malveillant Hrapp. Sur son lit de mort, Hrapp demande à être enterré à l’entrée du foyer: "Mets-moi dans le sol, de manière à pouvoir surveiller de près mon domicile". L’agencement des morts ne les faisait pas pour autant disparaître et les sagas sont pleines d’histoires de personnes destinataires de prophéties venues de l'au-delà, de morts chantant dans les tumuli funéraires ou hantant leurs vieilles maisons.
Le matériel archéologique soutient l'idée que les morts étaient présents dans les maisons de l'Âge du Fer et de l'Âge Viking. Au cours du premier millénaire, des osssements étaient parfois enfouis dans la maison, jusqu'à des nourrissons enterrés sous les foyers et dans les trous des poteaux. Cela devait avoir du sens pour les gens de placer des parties du corps de leurs morts sous le seuil ou dans les trous de poteaux des maisons-longues, comme d'inhumer le défunt dans l'habitation avant de quitter les lieux.
Demeurer avec les morts est clairement équivoque. D'un côté, les gens conservaient parfois les morts près d'eux, en les intégrant à leur espace vital. Les nourrissons et les ancêtres aidaient peut-être à protéger la maison, à l’ancrer dans l’histoire locale ou à donner du pouvoir à ses résidents. D'autre part, l'histoire de Hrapp et d'autres récits suggèrent que les morts pouvaient être objets d'angoisse. S'ils devenaient malveillants, ils étaient en mesure de menacer le ménage - et donc le seuil de leur monde devait être contrôlé.
Des portails vers l'autre monde
Différentes parties de la maison servaient probablement de points de contact entre vivants et morts, et aussi entre le passé, le présent et le futur. Sans surprise, le premier était sans doute le réel seuil de la maison.
Deux sources écrites relatent l'histoire d'une femme soulevée au-dessus d'un seuil pour pénétrer dans un royaume différent. L’une d’elles est le récit d’un témoin oculaire de funérailles sur la Volga, où une femme esclave est hissée au-dessus d'un portail indépendant (un peu comme un cadre de porte). Cela lui permet de parler avec le défunt chef. L'autre est un texte obscur sur un rituel qui a mal tourné, où la maîtresse de maison demande à être soulevée "par-dessus des charnières et des poutrelles de porte, pour voir si elle peut sauver le sacrifice" - peut-être pour voir dans un autre royaume ou dans l'avenir. Le seuil aurait ainsi pu être un portail vers d'autres êtres et pouvoirs. Pour cette raison éventuellement, des portails isolés auraient parfois été érigés sur les lieux de sépultures vikings.
Les archéologues trouvent également des objets - tels que des pots, des couteaux et des anneaux en fer - enfouis dans ou près des portes. Peut-être que ces objets protégeaient la maison des pouvoirs et des êtres de l'extérieur. Et le dépôt d'objets devait forger et sceller simultanément un lien entre la vie quotidienne des gens et leur maison. Il est même possible que des artefacts aient été apportés de maisons plus anciennes par de nouveaux habitants, par exemple lorsqu'ils se mariaient. Ceux-ci auraient été placés à l'entrée ou dans les trous de poteaux pour donner plus de pouvoir à la maison et lier ensemble les gens à leur maison, à travers le temps et l'espace.
Entrer dans l'Âge Viking par la porte de la maison
Prendre en considération la vie quotidienne des Vikings ouvre de nouvelles perspectives pour comprendre comment et où l'histoire s'est construite: ce n'est pas seulement sur le champ de bataille. L'architecture et la maison reflètent, aussi bien qu'elles modèlent, l'ordre social et spatial. À l'époque viking en Norvège, les gens étaient façonnés pour être différents - propriétaires et esclaves, hommes et femmes, avec différents types de pouvoir et différentes choses à craindre ou à espérer - entre l'étable et la salle principale, les fêtes et les rituels, la porte d'entrée et les objets déposés.
Les maisons vikings étaient des espaces politisés, mais aussi des sphères sociales, très différents des nôtres. Lorsque les Vikings se sont manifestés dans le monde entier par le biais des expéditions, du commerce et de la colonisation, leur compréhension du monde était ancrée dans leur expérience du quotidien dans une maison dès leur plus jeune âge. Le temps est venu d’élargir les thèmes que nous associons à l’Âge viking et de débattre de ce qui est méconnu et des étrangetés, ainsi que du rôle des inégalités dans cette période charnière de l’histoire européenne.
- Source: www.theconversation.com (traduction et réécriture Kernelyd)
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