Danemark - Un tour du monde périlleux pour le plus long des navires vikings
- Le 30/01/2019
- Dans Sciences et Société
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Transporté d’exposition en exposition dans des coffres hermétiques, il a voyagé en kit à travers l'Europe, mais aussi maintenant jusqu'aux États-Unis et au Canada. Roskilde 6, le plus long navire viking au monde poursuit, depuis 2013, une expédition périlleuse sous les projecteurs des musées internationaux.
Ce voyage du plus grand navire viking du monde, constamment exposé à de nouvelles conditions climatiques, est un véritable challenge pour les restaurateurs-conservateurs.
Trouvé par hasard
"Les archéologues ont découvert le bateau en 1996 alors que des travaux d'agrandissement du Musée des Navires vikings à Roskilde avaient lieu. Un canal devait être construit et c'est là que le bateau viking a été trouvé", a rappelé Kristiane Strætkvern, conservatrice au Musée national, qui a participé aux fouilles.
Comme son nom l'indique, Roskilde 6 est le sixième des 9 navires mis au jour lors de l'extension du musée. Il a été daté de 1025. À cette époque, le roi danois Knut le Grand était au pouvoir et son royaume s'étendait du Danemark, à l'Angleterre et au sud de la Norvège.
Avec une longueur totale de 37 mètres, il s'agit du plus long navire viking au monde, capable de transporter une centaine d'hommes. Un navire si grand qu'il s'est avéré impossible de l'extraire du sol en une seule pièce, a précisé Kristiane Strætkvern.
Seule une partie du fond subsistait pourtant, soit environ 25% encore intact du bois constituant le bateau. Il a donc fallu rapidement le protéger et commencer la conservation. "Puis le travail de nettoyage, d'analyse et de documentation de chaque pièce s'en est suivi avec soin, de sorte que nous puissions savoir exactement à quoi chaque morceau de bois appartenait."
La conservation a pris 15 ans
Avec 4 autres conservateurs, Kristiane Strætkvern s'est occupée du traitement des nombreuses pièces de bois de Roskilde 6 - une tâche qui a duré 15 ans. "Lorsque vous trouvez un bateau tel que celui-ci, il semble très bien conservé, mais en réalité le bois est complètement dégradé. Il ne reste plus que de la cellulose abîmée et gorgée d'eau, alors si vous séchez le bois, il s'effrite."
Les conservateurs sont donc intervenus en plongeant les vieux morceaux de bois dans de grands bacs remplis d’eau, dans lesquels ils ont ajouté progressivement une substance appelée "polyéthylène glycol" (ou "PEG"). À la fin, la résine représente 40% du bois du navire et évite qu’il ne tombe en poussière en séchant.
Toutefois, au moment où la conservation a commencé, aucun projet n'avait été encore arrêté pour Roskilde 6. "Durant le processus de traitement, nous ne savions pas vraiment ce qui allait arriver au navire", a confié Kristiane Strætkvern.
Un tour en Europe
En 2008, le Musée national du Danemark entama une collaboration avec le British Museum de Londres et le musée de Préhistoire et de Protohistoire (Museum für Vörnd Frühgeschichte) de Berlin, en vue d'organiser une grande exposition consacrée aux Vikings.
L'exposition itinérante, entre le Danemark, l'Angleterre et l'Allemagne, manquait d'un objet phare, et c'est là que Roskilde 6 entra en scène. "Nous avons donc proposé et suggéré ce projet: 'S'il doit être inclus à une exposition itinérante, ne devrions-nous pas lyophiliser toutes les pièces pour les stabiliser, et faire construire un support? Cela s'est avéré être un travail énorme", s'est remémorée en riant la conservatrice.
Pas de navire viking sans lyophilisation
La lyophilisation, qui vise à éliminer autant d'eau que possible, était absolument nécessaire pour que le navire puisse être exposé.
Après que les pièces de bois ait été placées dans un récipient contenant un agent de conservation, il restait à les faire sécher mais elles devaient de préférence être de la bonne forme. L'objectif était en effet de récupérer les nombreuses pièces d’un navire et non un puzzle à plat.
Pour ce faire, les pièces de bois durent être lyophilisées en plusieurs étapes. La congélation est la phase la plus critique du cycle de lyophilisation, celle qui va déterminer la structure finale de l'élément lyophilisé. "La lyophilisation a été effectuée dans une cuve de 8 mètres de long pouvant congeler jusqu'à moins 30 degrés. Il a fallu 3 ans et demi, nous avons fini juste à temps avant que l'exposition ne commence", a expliqué Kristiane Strætkvern.
Roskilde 6 voyage en kit
Tandis que les conservateurs lyophilisaient les pièces de Roskilde 6, une entreprise métallurgique s'attelait à la construction d'un support permettant de présenter l'ancienne épave morcelée. À présent, Roskilde 6 se monte un peu comme un meuble IKEA.
"Nous disposons d'un support qui peut être complètement démonté, soit 500 petits éléments qui sont numérotés et emballés sur des chariots séparés dans un conteneur", a révélé la conservatrice. C'est un meuble IKEA plutôt complexe, mais unique et non moins fragile.
Le navire-même comprend également de nombreuses petites pièces, emballées dans des boîtes hermétiques qui les protègent des fluctuations d'humidité et de température. "Lorsque toutes les pièces arrivent dans un musée, nous sommes 5 professionnels à passer 10 jours pour les assembler et plus tard, dix jours pour les démonter."
Les voyages font des ravages sur le navire
Roskilde 6 a achevé sa tournée en Europe. Il se trouve maintenant aux États-Unis, au Franklin Institute de Philadelphie.
Bien que Kristiane Strætkvern et ses collègues aient acquis au fur et à mesure une grande expertise dans le montage de Roskilde 6, ces nombreux voyages commence à endommager le navire. "Actuellement, le problème est que le musée qui accueille l'exposition ne bénéficie pas d'un climat intérieur stable et que le bois peut ne pas tenir, même s'il a été conservé."
Par conséquent, l’équipe s’emploie actuellement à obtenir des conditions de conservation plus stables à l'intérieur du musée de Philadelphie, en surveillant la température et l’humidité via des appareils enregistreurs qui envoient les informations au Danemark.
Des cristaux de sel autour des trous des rivets
Une récente étude a montré que le climat intérieur des musées peut avoir un impact considérable sur la vie des anciens navires vikings. "L'humidité et la température sont les deux choses qu'il est possible de contrôler dans les musées, mais également celles qui peuvent faire avancer les processus de dégradation", a déclaré Martin N. Mortensen, chercheur émérite au National Museum.
Ainsi, certains navires dont parle l’étude se sont fissurés, d'autres ont été touchés par des cristaux de sel en forme d’aiguilles ou même de la moisissure, après avoir été soumis à des changements importants de température et d’humidité.
L’équipe en charge de Roskilde 6 a justement observé la formation de cristaux de sel. "C’est un phénomène que nous constatons actuellement sur le navire. Surtout autour des trous des rivets, il y a de grosses tâches blanches, et on peut clairement apercevoir la formation de cristaux. Ce n'est pas très joli et un peu dérangeant", a révélé Kristiane Strætkvern.
Allumer la climatisation ne suffit pas
Le climat intérieur des musées est donc crucial. Il peut à la fois ralentir les dégradations, mais aussi contribuer à préserver les anciens trésors culturels. Cependant, la plupart des objets ont des besoins totalement différents, et pour éviter que des cristaux de sel ne viennent ronger Roskilde 6, des conditions assez spécifiques sont requises.
Morten Ryhl-Svendsen, professeur au Conservatoire royal de l'Académie des Beaux-Arts recommande dans le cas présent, et pour ce type de bois ayant fait l'objet d'une conservation, "une humidité modérée et constante".
"La plupart des musées modernes peuvent le faire avec une climatisation ordinaire et un contrôle de l'humidité". Il n’est donc pas impossible, selon lui, de créer les bonnes conditions de conservation pour les navires vikings, mais il ne suffit pas pour autant de se contenter d'allumer la climatisation.
Prochain arrêt: le Canada
L'équipe en charge de Roskilde 6 a hâte d’aller de l’avant et garde un œil attentif sur le grand navire viking.
"Le musée de Philadelphie a installé des déshumidificateurs et des humidificateurs pour maintenir le climat intérieur stable. Et puis on nous a dit que le prochain endroit offre de meilleures conditions, ce sur quoi nos experts en climatologie enquêtent. Mais ce n’est pas une chose facile à faire voyager", a conclu Kristiane Strætkvern.
Roskilde 6 a encore quelques étapes devant lui. En mars prochain, Kristiane Strætkvern et ses collègues emballeront le navire pour le remonter au Canada. D'ici 2020, il retournera probablement au Musée national, où il est prévu une exposition permanente du navire.
- Source: www.videnskab.dk (traduction et réécriture Kernelyd)
Vikings: Interview with Roskilde 6 Conservator
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