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Histoire - L'alliance des Vikings avec les juifs et les musulmans

  • Le 07/02/2017
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Selon l'historien islandais Thorir Jonsson Hraundal , les livres d'Histoire sur l'épopée des Vikings devraient être largement  révisés. Dans le cadre de son doctorat sur les Rus, ces Vikings qui ont voyagé en Europe de l'Est, en Asie centrale et au Moyen-Orient à partir du milieu du XIème siècle juqu'à environ l'an 1000,  il a passé au crible les sources littéraires arabes et étudié les interactions culturelles entre les musulmans et les païens nordiques.

Les Vikings étaient des guerriers sanguinaires musculeux et barbus qui ont navigué grâce à leurs bateaux innovants loin vers l'Ouest, où ils ont pillé des villages, violé des femmes et assassiné des hommes. Voilà le cliché typique dles sauvages habitants du Nord...

Pourtant, bien que les Vikings, fermiers et explorateurs, fassent l'objet d'exposition dans les musées et hantent le monde du cinéma, il reste encore beaucoup de choses à apprendre à leur sujet.

 

L'historien islandais Thorir Jonsson Hraundal a présenté et défendu son projet de doctorat, Les Rus dans les sources arabes, Contacts et Identités culturelles à l'Université de Bergen. Et selon lui, il a sans doute été tout aussi naturel pour les Vikings de prendre la route vers l'Est que vers l'Ouest, en empruntant les fleuves et rivières européens jusqu'à la mer Caspienne, Constantinople et Bagdad. 

 

D'abord, en mer, puis à dos de chameau

Un viking vendant une esclave à un marchand persan - Peinture Tom LovellThorir Jonsson Hraundal rappelle que, grâce aux découvertes archéologiques d'artefacts vikings en Europe de l'Est, nous savons que les Scandinaves ont voyagé de Kiev à la mer Caspienne et même au-delà pendant une longue période. Au Sud de la Mer Baltique, les Vikings se sont rendus sur les comptoirs commerciaux à l'embouchure des fleuves que sont l'Oder et la Vistule. Ils sont également allés à l'intérieur des terres dans les comptoirs commerciaux de la Volkhov, du Dniepr et de la Volga. Làils ont échangé l'ambre, le sel, le miel et la cire, des fourrures et des esclaves. 

Mais les Vikings ne se déplaçaient pas seulement par la mer. Au milieu du IXème siècle, le géographe persan Ibn Khurdähbih, auteur de quelques-uns des premiers livres arabes connus sur les itinéraires de voyage, a écrit que les Vikings transportaient l'ensemble de leur marchandise à Byzance (aujourd'hui Istanbul) et à Bagdad, à dos de chameau. 

Bien qu'il y ait d'autres histoires sur le recours aux chameaux par les Vikings, il est très probable pour Hraundal qu'au départ les Vikings ont dû faire de longs trajets lors de leurs premières incursions vers l'Est, tandis que par la suite ils empruntaient plusieurs routes commerciales plus courtes. 

Ce qui a le plus marqué l'historien quand il a étudié les sources arabes, c'est non seulement que les Vikings ont voyagé à l'Est, mais qu'ils s'y sont établis pendant près d'un demi-siècle. Il pense qu'ils ont nécessairement, durant un temps aussi long, interagi avec les gens autour de la mer Caspienne et de la Volga. Ainsi, d'après Thorir Jonsson Hraundal, ils n'étaient pas en mesure d'éviter l'influence d'une interaction culturelle et son impact.

 

Vision européocentriste et sources arabes

Hraundal avait déjà écrit une thèse sur la propagation de l'Islam en Russie et il a étudié tous les lieux historiques de la région. Mais il a rapidement découvert qu'il était bien seul à posséder ces connaissances-là. En ce qui concerne la présence des Vikings dans la région, les livres d'Histoire restaient muets. La recherche sur l'Âge Viking, couvrant plus de 300 ans, s'est plutôt concentrée sur l'exploration par les Vikings de nouvelles terres, en Islande, au Groenland et  en Amérique du Nord. Les scientifiques ont un peu abordé les raids vers l'Est et seulement à partir des sources slaves. 

Après avoir analysé les sources arabes qui datent de plus de 1000 ans, la culture, la langue et l'histoire sont si complexes et exotiques, que Thorir Jonsson Hraundal comprend que d'autres chercheurs sur l'Âge Viking aient plutôt choisi de se tourner vers l'Ouest. Cependant, Hraundal va plus loin encore. À l'époque soviétique, les gens au pouvoir ont essayé d'éliminer toutes les sources historiques, sauf celles qui provenaient des peuples slaves. C'était difficile pour les archéologues se tenant derrière le rideau de fer. Ils ont développé une vision européocentriste très occidentale sur l'Histoire. Et tandis que le rideau de fer politique a disparu, il existe apparemment encore dans l'esprit des gens. Selon lui, c'est un privilège récent de pouvoir faire entendre d'autres voix

Les Scandinaves qui ont voyagé vers l'Est, généralement appelé Rus, sont ceux qui plus tard ont donné leur nom à la Russie d'aujourd'hui. Mais nos connaissances actuelles à leur sujet se limitent clairement à La Chronique de Nestor de 1113 [aussi appelée La Chronique des temps passés, elle nous est parvenue en entier sous forme de copies dont la plus ancienne date de 1371], qui traite de la fondation de Kiev et de l’émergence de la Rus'. Hraundal  fait remarquer que cette source historique n'a été écrite ni par ceux qui ont rencontré les Vikings, ni rédigée au cours de la période où les Vikings voyageaient vers l'Est. Elle n'est pas contemporaine des IXème et Xème siècles. Elle est fondée sur des faits et des histoires, mais d'une manière peu précise. Par conséquent, Thorir Jonsson Hraundal a déclaré avoir préféré faire des recherches dans les sources arabes, et a étudié en particulier les textes écrits au IXème siècle par le voyageur et savant musulman Ibn Fadlan, qui a rencontré les Vikings sur les comptoirs commerciaux.

Premièrement, l'historien islandais a d'abord souligné que les Vikings ne sont pas principalement restés autour de Kiev, mais ont voyagé bien plus à l'Est.  

Deuxièmement, les sources arabes montrent que les Vikings n'avaient pas l'ambition de former un Etat à l'Est ou de convertir les habitants au christianisme, comme on le pensait auparavant.

Et troisièmement, elle fournissent la preuve que les puissants Turcs, nommés Khazars, ont entretenu une relation privilégiée avec des Vikings qui se sont installés pour des périodes plus ou moins longues.

 

De riches alliés

Selon Hraundal, cela peut sembler très modeste, mais c'est un peu comme faire la découverte d'un nouveau groupe de Vikings. Les sources arabes donnent à voir l'importance des Vikings sur une période plus longue et plus à l'Est ainsi que la façon dont leur culture et celle des Khazars se sont rencontrées. Cela donne à réfléchir et devrait nous forcer à repenser le rôle des Scandinaves sur cette période.

Pièces de monnaie arabes en argent datées de 850Le peuple turc des Khazars gouvernaient ce que nous connaissons aujourd'hui comme le sud de la Russie, l'Ouest du Kazakhstan, l'Est de l'Ukraine, de grandes parties du Caucase et de Crimée, tenant de la sorte les principales routes commerciales entre les pays nordiques, le Moyen-Orient et les pays méditerranéens. La plupart des chefs Khazars étaient convertis au judaïsme, qui est progressivement devenue une religion d'État. Un autre peuple turc puissant étaient celui des musulmans de la Bulgarie de la Volga (aussi nommé Khanat bulgare de la Volga), établis dans la région de la confluence de la Volga et de la KamaLes Vikings prenaient soin de leur alliance avec ces deux partis, tous deux sources de grandes richesses. Ils commerçaient principalement avec des pièces d'argent trouvées en grande quantité au Danemark, en Suède et en Norvège. Thorir Jonsson Hraundal précise que les Vikings doivent avoir été très respectés pour être autorisés à commercer et vivre auprès de personnes si influentes.

 

Les plus sales créatures d'Allah

Ces musulmans qui ont rencontré les Vikings, les ont décrits comme de belles personnes, même s'ils leur semblaient à la fois sales et barbares. Ibn Fadlan a écrit en 922 que les Vikings devaient être les plus sales des créatures d'Allah, car ils ne se lavent pas après avoir déféqué, uriné ou après avoir eu des relations sexuelles. Ils ne se lavent pas non plus les mains après avoir mangé. Le savant a également noté que les Vikings lavent certes leur visage et leur corps tous les matins, mais dans de l'eau sale. Chaque matin, l'une des femmes esclaves apportait une bassine d'eau à son maître pour qu'il y lave ses mains, son visage et ses cheveux. Puis il peignait ses cheveux, se curait le nez et crachait dans l'eau. La même bassine d'eau était ensuite proposée au Viking suivant et ainsi de suite. Bien que les archéologues aient découvert des peignes, des pinces, des coupe-ongles et des cure-oreilles suggérant que les Vikings étaient effectivement soucieux à la fois de leur propreté et de leur apparence, Thorir Jonsson Hraundal souligne qu'ils n'étaient visiblement pas encore en mesure de rivaliser avec l'hygiène des peuples musulmans. 

L'historien ajoute aussi que ceux que l'on appelait Rus étaient originaires de plusieurs peuple nordiques et qu'il est donc difficile de faire des généralités à ce sujet. Ils pouvaient s'agir, de guerriers, de commerçants comme de paysans. Les Scandinaves semblent avoir été un peuple polyvalent qui était vraiment doué pour s'adapter. Thorir Jonsson Hraundal explique que les Turcs étaient si puissants que les Vikings ne pouvaient tout simplement pas venir pour les défier au combat. Mais l'historien ajoute que les Vikings semblent également avoir été respectésIbn Fadlan a écrit, entre autres choses, qu'il n'avait jamais vu de gens avec une telle morphologie et a comparé leur taille à celle des palmiers. 

 

Des interactions culturelles

Funérailles d'un noble Rus' - Tableau: Henryk SiemiradzkiSelon d'autres sources historiques arabes, les Vikings avaient également accès à diverses assemblées, ce qui requérait une position de pouvoir certaine. Cela nous montre, d'après Thorir Jonsson Hraundal, qu'ils étaient bien intégrés dans cette culture, sans quoi ils n'auraient pas eu de privilèges. Mais jusqu'à un certain point, car les intellectuels musulmans ont pu aussi s'interroger sur le comportement parfois bizarre de ces hommes nordiques. Entre autres, comme lors des funérailles d'un chef Viking dans la région de La Bulgarie de la Volga, l'été 922, où Fadlan a été autorisé à assister à la crémation. Il a décrit dans son oeuvre comment les possessions du Viking ont été divisés en trois parts, une pour sa famille, une pour lui confectionner des vêtements et une autre pour lui préparer le nabidh [de la bière] qu'ils ont bu jusqu'au jour où le défunt a été incinéré avec l'une de ses esclaves. A l'inverse, le savant musulman a rapporté que les Vikings se moquaient des Arabes en disant qu'ils étaient bien stupides pour laisser leurs morts se faire manger par les vers dans le sol plutôt que de les brûler afin qu'ils rejoignent immédiatement l'au-delà.

Néanmoins Hraundal précise qu'on ne peut savoir à quel point les Arabes ont pu être directement affectés par les coutumes vikings. Le problème est que de nombreuses sources sont assez tardives et qu'elles sont écrites du point de vue musulman. Il n'y a aucun signe de rivalité culturelle mais la culture la plus répandue dans la région a probablement plus influencée les Vikings que l'inverse. L'historien islandais maintient cependant qu'on ne peut imaginer autre chose qu'une réelle interaction entre les deux, un propos étayé par ce que les Vikings ont rapporté chez eux, découvert plus tard par les archéologues, comme le costume d'un guerrier local. 

La source d'information offerte par les écrits arabes est loin d'être épuisée, assure Thorir Jonsson Hraundal. L'analyse de ses textes est encore très récente et il y a probablement beaucoup plus de connaissances à en extraire. Le plus surprenant à ses yeux est que ces sources sont là depuis des centaines d'années sans avoir été prises réellement en compte. Nous devons élargir considérablement notre connaissance des Scandinaves et de leurs interactions avec le monde de l'époque.

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