Danemark - Les Vikings de la nouvelle exposition du Musée national défraient la chronique
- Le 19/12/2018
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Depuis des années, l'absence des Vikings au Musée national du Danemark, à Copenhague, n'a eu de cesse d'intriguer les touristes. L'exposition Meet the Vikings, qui a ouvert ses portes le 26 novembre, annonce du changement. Toutefois, la scénographie élaborée par le designer Jim Lyngvild a provoqué un tollé chez les historiens et les archéologues.
L'absence des Vikings a longtemps intrigué les touristes en visite au Musée national de Copenhague. "Où sont les Vikings?" pouvait-on parfois les entendre demander au guide qui, conformément à la ligne de conduite officielle, répondait poliment qu’en fait, les Vikings ne sont qu'une notion romantique. Puis le guide expliquait alors qu'au Danemark, il y a eu l'Âge du Fer tardif avant que le Haut Moyen Âge ne lui succède, et ce jusqu'à la fin du Xème siècle.
Viking, un terme impropre?
Pour citer la présentation de l'exposition sur le site officiel du musée, "la période que nous appelons l'Âge Viking court de 800 à 1050 de notre ère." Ceci, malgré le fait que le Danemark entra officiellement dans l’histoire écrite de l’Europe à la fin du VIIIème siècle, lorsque le roi Godfred, d'après les Annales regni Francorum, se comporta en ami des Saxons et en ennemi majeur de Charlemagne. Les Danois agirent de concert avec les Vikings norvégiens et suédois, participèrent aux conquêtes vikings du Danelaw, de l'Irlande et de la Normandie. Enfin, le roi danois Cnut le Grand, finit par diriger l'Angleterre, l'Irlande, la Norvège et le Danemark dans ce qui fut largement considéré comme un puissant empire viking du Nord-Ouest.
Pour autant, cette Histoire n’avait toujours pas de place dédiée au Musée national de Copenhague en 2005, date à laquelle l’exposition "Préhistoire du Danemark" (jusqu'en 1050) fut réaménagée. Pourquoi?
Était-ce le reflet d'un conflit interne latent entre d'une part les "vieux" archéologues de Copenhague et, d'autre part, les jeunes étudiants en Archéologie médiévale d'Aarhus sous l'égide d' Else Roesdahl, auteure du célèbre livre sur les Vikings? Ou était-ce plutôt une question de conviction académique qui estime que le terme "Vikings" est impropre à désigner des individus de l'Âge du Fer, i.e ayant vécu entre la seconde moitié du VIème siècle et 1050/1080? Une position qui, en fait, apparaît plutôt cohérente puisque peut être observée une continuité culturelle en termes de religion, d’art, de mode de vie, voire de forme d’organisation sociale. Il devient d'ailleurs de plus en plus fréquent ces derniers temps de laisser l'Âge Viking "commencer" de plus en plus tôt... mais c'est une autre histoire.
Un produit de marque
Les dernières années ont montré que de telles considérations épineuses n’ont aucun attrait dans un monde dominé par HBO avec la série télévisée Vikings et Internet. Puis les élites en place ont fini par découvrir que les Vikings sont un produit de marque qui vend de précieux billets aux touristes.
Ainsi, Oslo s'est lancé dans la construction d'une extension au musée qui accueille actuellement les splendides bateaux de Gokstad et d'Oseberg [ cf. Un nouveau musée de l'Âge Viking à Oslo] tandis qu'Uppsala a réorganisé son exposition des découvertes de la période de Vendel. En parallèle, l'Université d'Uppsala a trouvé des fonds pour un énorme et très important projet de recherche appelé "Le phénomène Viking".
Pendant ce temps, au Danemark, les épaves des bateaux vikings dans le Fjord de Roskilde risquent à tout moment d’être emportées par une tempête hivernale, et partir sur les traces des Vikings à Copenhague se résumait, il y a peu de temps encore, à tenter de trouver une aiguille dans une botte de foin.
Nouveau directeur, nouvelles idées
En 2017, l'anthropologue Rane Willerslev a été nommé directeur du Musée national de Copenhague, avec pour mission de rendre le musée plus attractif. Connu pour sa liberté de pensée, il a rapidement pris l'initiative de dépoussiérer un peu la vénérable résidence royale du XVIIIème siècle qui abrite le musée. Bien que sévèrement handicapé par des coupes budgétaires, son projet principal vise le développement d'une grande exposition permanente consacrée aux Vikings, qui devrait ouvrir dans quelques années. Dans cette perspective, il a entrepris de réorganiser 3 salles où les Vikings avaient été, jusqu'à présent, soigneusement dissimulés à la vue des non-initiés.
En outre, l’intention affichée de Rane Willerslev est d'amorcer une approche plus novatrice et audacieuse du sujet. Avant d’aller plus loin, comme de proposer des reconstitutions basées sur la recherche ou, à terme, de faire voguer la réplique d'un bateau viking sur le lac à proximité, il a eu l'idée de confier l'élaboration de scénographies expérimentales à des artistes.
À cette fin, c'est le designer Jim Lyngvild, connu pour être un aficionado des Vikings ainsi que le chef de file d'un temple païen nordique sur l'île de Fionie, qui se retrouve aux commandes. Jim Lyngvild étant également à la tête d’une entreprise, Viking Business, qui commercialise du design et des produits cosmétiques, il s’est porté volontaire pour concevoir l’exposition à titre gratuit, hormis les frais matériels.
Une inauguration conçue pour faire le buzz
Pour le moment, l'exposition se compose de 3 salles, dont la première n'a guère été remaniée. À une extrémité, une récréation fantasmatique d’un temple païen semblable à celui de Tissø a été tentée. Les murs des deux salles suivantes sont agrémentées de 14 immenses photos et 6 têtes de personnages en cire hauts en couleur, présentant tous les Vikings "archétypaux" imaginés par Jim Lyngvild. Ceci est associé à une exposition plus traditionnelle de tout ce qui brille - trésors et bijoux à gogo, parmi lesquels la célèbre bague en or de Tissø et le trésor de Fæsted, l'un des plus grands trésors de bijoux en or et en argent du Danemark découvert en 2016.
Il y a quelques semaines, l'exposition a été lancée en grande fanfare. La chaîne HBO a été invitée au vernissage et a profité de l’occasion pour lancer la 2ème partie de la 5ème saison de "Vikings". À l’évidence inspirée par le monde des médias et du divertissement, l'inauguration démodée, quelque peu monotone et académique, de toute nouvelle exposition dans un musée s'est muée ici en un spectacle où l'élite et les célébrités cotoyaient les "influenceurs", les associations de reconstitutions vikings et des représentants des médias, tout en buvant un cocktail "Wings of Orkney" à base de Highland Park Valkyrie (whisky dont la bouteille a été designée par Jim Lyngvild).
Lors de l'événement, si Jim Lyngvild a pour le moins conquis l'assemblée, Rane Willerslev a néanmoins dû batailler pour redonner un peu de solennité à la cérémonie.
Les causes du tollé
Depuis, la collaboration entre le Musée national, HBO et Jim Lyngvild s'est heurtée à un bombardement massif de commentaires et de critiques, au mieux méprisants, au pire enragés, sur les médias sociaux et ailleurs. Une partie de l'explication réside probablement dans le fait que, quelques semaines à peine plus tôt, le musée venait de licencier 30 salariés, dont au moins un expert en Culture et Histoire viking. Les milieux universitaires se sont sentis bafoués et non sans raisons.
Pour Søren M. Sindbæk, professeur d'archéologie à l'Université d'Aarhus, l'exposition du Musée national a tout d'une grande opération commerciale, mais peu à voir avec l'Âge Viking, ce qui lui semble peu digne d'un établissement fonctionnant avec des subventions. Il dénonce de graves erreurs qui peuvent égarer le visiteur. Des textes explicatifs d'expositions précédentes semblent avoir été réutilisés tels quels, de sorte que l'un d'entre eux, évoquant les pierres runiques et le site de Jelling, se trouve sans aucun lien direct avec la présente exposition. Un autre panneau indique même que 4 forteresses circulaires datant de l'Âge Viking sont connues au Danemark, alors que cela fait déjà 4 ans que Borgring, la cinquième du genre, a été découverte à Køge.
De fait, aucun des experts de l'Âge Viking du Musée national n'a été sollicité pour apporter sa contribution, bien que le musée compte dans ses effectifs certains des chercheurs les plus renommés du Danemark, tels que les inspecteurs Peter Vang Petersen et Jeanette Varberg. Søren M. Sindbæk estime que ce n’est pas parce que la propre équipe du Musée national en était incapable, car ils se sont déjà attelés par le passé à des expositions temporaires qui furent des succès (Viking en 2013, ou Dragons of the Northern Seas en 2015), mais bien parce qu'ils n'étaient pas en mesure, selon lui, de générer comme le peut Jim Lyngvild, de la provocation, du débat et de la publicité.
Jim Lyngvild, cible de toutes les critiques
L'évocation apparemment "erronée" des Vikings que propose l'exposition est aussi en cause. Dans les partages sur Facebook, les photos de Vikings prises par Jim Lyngvild ont circulé et ont été âprement critiquées comme présentant des copies d'artefacts datant d'il y a seulement 3 à 400 ans, ainsi que des reproductions romantiques du XIXème siècle. De plus, vêtus de brocarts somptueux et de soieries, il n'y a pas de "paysans puants" montrés, pour reprendre les propres mots du designer. Les têtes de cire, quant à elles, sont généreusement tatouées mais, a contrario et comme l'ont pourtant attesté plusieurs découvertes archéologiques, pas de dents limées et probablement colorées à l'horizon.
Søren M. Sindbæk rappelle que des archéologues et historiens ont eu dès le départ le courage de mettre en garde le Musée national contre toute coopération avec Jim Lyngvild, une célébrité que beaucoup de gens adorent haïr pour ses déclarations provocatrices, mais pas seulement. Jakob Seerup, inspecteur du musée de Bornholm, a quant à lui rappelé les soupçons de traffic d'objets archéologiques qui pèsent encore sur Jim Lyngvild, après que ce dernier ait acheté il y a quelques années des bijoux probablement issus de fouilles illégales dans les États baltes ou en Russie. Une accusation que le designer a qualifié d'"injuste".
Søren M. Sindbæk enfonce le clou sur le manque de connaissances et de formation sérieuse de l'artiste choisi, estimant que confier à Jim Lynvild la scénographie de cette exposition revient à "demander à un créationniste de réaménager le musée zoologique". Cependant, les inspecteurs du Musée national, Peter Vang Petersen et Jeanette Varberg, expliquent dans le journal Videnskab que les portraits de Vikings réalisés par Jim Lyngvild n’ont jamais eu la prétention de s'inscrire dans une démarche de reconstitution archéologique, car cela aurait donné à l'exposition un aspect complètement différent et aurait exigé un investissement financier comme une planification bien plus lourds.
Le débat reste ouvert
La question centrale, toutefois, reste: que faut-il penser de l'exposition?
Pour commencer, il ne fait aucun doute que les intentions ne sont pas toutes mauvaises. D'après une rumeur, un touriste américain qui, en 2013, vit l'ossature en acier supportant les vestiges de l'immense navire viking de Skuldelev (épave 6), se serait émerveillé du savoir-faire technologique des Vikings et de leur capacité à construire des navires en acier! La plupart des gens visitent en effet de telles expositions sans prérequis ni connaissances préalables, à l'exception de ce qu'ils ont pu tirer de séries telles que Vikings. Les plonger dans une exposition traditionnelle peut réellement les décourager. Au XXIème siècle, les gens sont collés à Netflix et s'attendent à ce que les autres formes de divertissement, telles la visite d'un musée, soient à la hauteur pour rivaliser avec The Last Kingdom, Les Tudors et Vikings.
Au XXIème siècle aussi, comme ce fut le cas au cours du siècle dernier, ont rappelé Jim Lyngvild et les inspecteurs du Musée national, l’Âge Viking continue de susciter nombre de réinterprétations, mais à travers de nouveaux supports et de nouvelles questions, telles que celles du genre, du pouvoir, de la hiérarchie, de l’esthétique, etc. L'exposition devait donc se situer aux antipodes d'une Histoire "morte" et d'un savoir fini. L'archéologie et l'Histoire ne sont pas des sciences exactes. Ils défendent de la sorte le parti pris du musée d'avoir voulu ouvrir une forme de dialogue au travers d'une tension entre les faits et la fiction, afin de mieux frapper les esprits et aider le visiteur à s'interroger sur ses propres conceptions, puis à prendre position.
Avec un budget moins restreint, puisque tel est l'argument mis en avant par la direction du musée, des représentations de Vikings plus fidèles et basées sur les recherches scientifiques auraient étaient les bienvenues, comme tenter la reconstitution du visage de Gorm l'ancien, inhumé sous l'église de Jelling, ou faire appel à la réalité virtuelle. Pour le moins, une meilleure identification de ce qui relève de l'interprétation artistique d'une part, et de l'interprétation archéologique et historique d'autre part, permettrait de limiter la confusion des genres. Il reste donc au Musée national de Copenhague à faire évoluer et à affiner cette nouvelle expérience muséale en vue de la grande exposition qui, à terme, contera la grande Histoire des Vikings au Danemark.
- Sources: www.videnskab.dk, www.videnskab.dk, www.medieval.eu, www.berlingske.dk (traduction, synthèse et réécriture Kernelyd)
- L'exposition: www.en.natmus.dk
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Commentaires
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- 1. joel supery Le 21/01/2019
Bonsoir Kernelyd,
Je viens de visiter l'exposition tant contestée. Il est vrai que les photos de femmes et d'hommes "vikings" sont bien plus sophistiquées que les représentations traditionnelles. On voit des femmes richement vêtues, élégantes, très féminines. Mais contrairement à ceux qui critiquent ces partis pris si éloignés de l'image traditionnelle (présentant une paysanne enrichie vêtue de tissus rustiques) , ces images m'ont attiré. Il s'agit d'interprétations photographiques. Leur intérêt est de cesser de présenter les femmes vikings comme des paysannes enrichies, mais comme des femmes plus proches de souveraines médiévales. Et franchement, cette présentation n'est pas plus caricaturale que la précédente. Des femmes vikings auraient très bien pu ressembler à ces femmes. Pas toutes les femmes, mais certaines.
Quant aux figures de cire présentant des vikings tatoués et rasés -très proches de ce que l'on peut voir dans la série télé-, elles sont effectivement étonnantes, mais elles ont le mérite de poser des questions. Les Vikings se maquillaient les yeux, mais étaient ils tatoués ? Les Vikings avaient des barbes, mais se rasaient-ils le crâne ?
Cette exposition est intéressante car elle nous apprend qu'en dehors des découvertes archéologiques -très impressionnantes par leur quantité et qualité esthétique-, nous ne savons pas grand chose des hommes du Nord.
L'exposition ne dit quasiment rien des invasions, ni de la traite des esclaves. Elle ne dit rien des navires ni de la logistique exceptionnels qui ont permis les invasions. On nous présente des artisans armés dont on ne nous explique rien des motivations, des ambitions, des moyens. On se rend compte que les Vikings sont traités au Danemark comme ailleurs dans le monde : on les regarde comme des sujets archéologiques , mais toujours pas comme des sujets historiques. Et si un artiste comme Jim Lyngvild, a pu s'imposer de la sorte dans les murs du National Museet de Copenhague, c'est surtout parce que les historiens y sont dramatiquement absents depuis des décennies. Depuis des décennies, les historiens ont cessé de chercher sur les Vikings. Depuis des décennies, ils se contentent de commenter les découvertes archéologiques en considérant que les textes ne peuvent rien leur apprendre de plus et c'est une grossière erreur.
Amicalement,
Joel Supéry
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