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Jocelyne GIANI - Le chant de l'Histoire

Animatrice radio à Radio France durant 18 ans, co-directrice d’une école de danse et spectacle à Auxerre (89) depuis 2001, Jocelyne Giani est également parolière et compositrice de chansons, auteure de livrets, de pièces et de romans.

"Le Chant de l’Aulne", paru le 10 Novembre 2023 aux éditions Les Monédières, est le 3ème tome de sa trilogie historique intitulée "La Païenne". Ce dernier volet embarque le lecteur à bord des nouvelles aventures de l’héroïne Bélissenda et de son compagnon Thorig, jarl de Selløya, au cœur des événements qui secouent l’Europe autour de l’an 1000.

Dans les coulisses de ce théâtre, Idavoll vous invite à la rencontre d’une artiste multifacette qui façonne le tumulte du monde en ode à la Nature et à l’Histoire.

 

  • D’où vient votre intérêt pour l’Histoire et en particulier celle de la Scandinavie ancienne?

Jocelyne Giani - Photo: Jocelyne GianiJ’ai toujours été fascinée par l’Histoire, le Moyen Âge en particulier. Pour quelles raisons? Difficile à dire, mais je crois que mes premières lectures d’enfant y sont pour quelque chose. J’ai été marquée par un roman de la collection Rouge et Or qui se passait au temps de Richard Cœur de lion, je l’ai même racheté d’occasion récemment!

En ce qui concerne la Scandinavie, la période qui m’intéresse, et que j’aborde dans "Le Chant de l’Aulne", est la fin de l’ère viking. Je suis souvent attirée par les périodes charnières de l’histoire et celle-ci en est une. On y voit les derniers sursauts d’un ancien monde, le monde des dieux, des rites ancestraux et aussi de tout un mode de vie qui va être balayé par le christianisme et les nouvelles configurations géopolitiques. Il y a quelque chose de tragique et d’émouvant là-dedans.

 

En tant qu’écrivaine, des œuvres ou auteurs vous inspirent-ils particulièrement et pour quelles raisons?

Mon premier coup de cœur littéraire a été pour Alexandre Dumas, lorsque j’avais une douzaine d’années. Eh oui, déjà des romans historiques!

Et puis j’ai découvert Colette, sa plume inimitable, tellement sensuelle et élégante à la fois! Elle parle de la nature avec un tel amour, ça me touche profondément.

Parmi les auteurs actuels, j’aime beaucoup Henri Loevenbruck et Emmanuel Robert-Espalieu. J’aime qu’un roman m’emporte, me fasse oublier la réalité. Je suis sensible à l’intrigue, bien sûr, mais je suis également très attachée au style.

J’aime les belles plumes, lyriques sans être ampoulées, celles qui ont le pouvoir de faire naître des images.

 

  • En 2014, vous avez écrit le spectacle intitulé "Douce France" pour l’école que vous co-dirigez avec Thierry de Fontenay, le studio Evi’Danse à Auxerre. L’un des tableaux met en scène l’invasion de la ville par les Vikings, un fait historique généralement passé sous silence et rarement traité sous cette forme. Comment vous est venue cette idée, et cette évocation a-t-elle eu un impact particulier sur le public?

Alors là, l’idée est de Thierry. Mais bien évidemment, j’ai applaudi des deux mains!

Dans cette histoire de France à notre manière, on se devait d’évoquer les 'invasions normandes'. Au départ, on n’a pas pensé à Auxerre en particulier. C’est après, en voyant le résultat sur scène, avec ce décor de cloître qui brulait, et la silhouette du drakkar en projection, qu’on a réalisé! Quand on crée, que ce soit un livre ou un spectacle, il y a toujours des mécanismes inconscients à l’œuvre. Je crois que ça a été le cas pour ce tableau.

Nos élèves, toutes des filles dans ce groupe, ont d’ailleurs adoré exécuter cette danse guerrière à souhait! Dans le public, certaines personnes ont fait la relation avec l’abbaye Saint-Germain, mais c’est vraiment une minorité. C’est vrai que ce fait historique est rarement évoqué.

 

  • À travers l’héroïne de votre trilogie historique, Bélissenda "la païenne", vous restituez des traditions et croyances anciennes sourcées, issues de différentes régions et peuples. Quel rôle, selon vous, peuvent-elles encore jouer dans notre société moderne et quel regard portez-vous sur l’engouement en Europe, au cours de la dernière décennie, pour le néopaganisme?

L’intérêt actuel pour le paganisme provient, il me semble, d’un besoin vital de se rapprocher de la nature à travers une forme d’animisme, peut-être. Nos ancêtres vénéraient les sources, les arbres, certains rochers ou grottes. Les anciens dieux évoquent des forces en action, ce sont des leviers symboliques puissants.

Tout cela fait vibrer nos racines, à un moment où on est en perte de sens et de repères, où notre environnement est menacé, où beaucoup de nos structures vacillent. Je crois que ces traditions peuvent apporter une nouvelle interprétation du monde dans lequel nous vivons, un nouveau souffle, à condition qu’elles ne soient pas récupérées politiquement ou tournées en gadgets à la mode.

 

  • L’intrigue de chacun des trois tomes - qui peuvent être lus séparément- s’inscrit au tournant de l’an 1000 dans des décors très contrastés: des Pyrénées à l’Al-Andalous en passant dans "Le Chant de l'Aulne" par l’archipel des Lofoten, Constantinople ou encore Vannes, en Bretagne. Cette vision cosmopolite que vous livrez bat en brèche le cliché d’un monde d’alors sclérosé. Il y a-t-il des idées reçues sur cette époque qu’il vous tient à cœur de dénoncer grâce à ce roman?

Effectivement, on voyage beaucoup en l’an mille! L’archéologie le prouve tous les jours. On trouve de la monnaie orientale sur des sites scandinaves, des bijoux, différents artefacts qui prouvent une grande mobilité, pas seulement de la part des vikings, d’ailleurs.

En faisant mes recherches, je me suis rendue compte avec surprise des innombrables routes commerciales, terrestres et maritimes qui jalonnaient une grande partie du monde, du fin fond de la Scandinavie jusqu’en Asie. Qui dit échanges commerciaux dit forcément échanges culturels et partage de connaissances. Je pense notamment à la médecine arabe, au rayonnement de Bagdad ou d’Al-Andalous en matière de médecine, d’astronomie, de mathématiques…

On voit l’an mille comme une époque barbare ou empreinte de terreurs religieuses (les fameuses peurs de l’an mille). C’est, au contraire, une période d’une grande richesse historique et culturelle.

 

  • En filigrane des péripéties que doivent affronter les protagonistes dans "Le Chant de l’Aulne", le lecteur découvre un authentique aperçu des mœurs et du quotidien des anciens Scandinaves, mais aussi des Samis. Parmi les thèmes que vous développez, quels sont ceux qui vous semblent les plus emblématiques de la société de l’Âge Viking? Et pourquoi?

Ce qui m’a le plus frappée est le rôle prépondérant des femmes, à un moment où, ailleurs en Europe, leur statut est peu enviable et dépend de la bonne volonté des hommes. Il y a un vrai respect de la femme scandinave, même si son rôle reste quand même lié aux questions domestiques: l’agencement et la tenue de la maison, l’intendance, l’organisation de l’élevage et des cultures, le brassage de la bière etc.

Après, il ne faut pas rêver, les décisions politiques, au sens large, restent l’apanage des hommes: les femmes peuvent se joindre aux combats mais ne peuvent prendre la parole ou exprimer leurs opinions lors des things, ces assemblées qui réunissent les chefs. Mais bon, elles ont le droit de divorcer et de récupérer leur dot, ce qui est déjà bien pour l’époque!

 

  • Dans quelle mesure votre implication dans une association de reconstitution, Les Corbeaux de Grimnir (Kråkorna av Grimnir en vieux norrois), vous a-t-elle permis d’expérimenter le quotidien de l’époque? Cela a-t-il influé sur l’écriture de votre roman? 

Jocelyne Giani avec Les Corbeaux de Grimnir - Photo: Jocelyne giani auteureAh oui, sans aucun doute! Cette immersion était nécessaire pour comprendre le rapport au temps, aux objets, aux vêtements, par exemple. Ma robe est faite de lin et de laine tissée. Je l’ai cousue à la main, ça m’a pris des jours. On est loin de la fast fashion!

On se rend compte du côté précieux des objets du quotidien, de la nécessité d’en prendre soin, de ne rien gaspiller. On a toujours, par exemple, l’image du chef viking vêtu de cuir, mais en fait, comme le rappelle Grimnir, notre chef de clan, le cuir c’était pour les pauvres, pour les paysans. Le chef respecté, lui, se devait d’être vêtu de tissu, car le tissu était rare et précieux.

Il fallait du temps et des moyens pour tisser, teindre, coudre, agrémenter une tunique de galons ou de broderies.

 

De grandes figures historiques traversent le récit, tels que Olaf Tryggvason ou Éric Håkonsson, jarl de Lade. Que représente la part de vos recherches dans le processus d’écriture? Comment êtes-vous parvenue à trouver un tel équilibre entre la fiction et l’Histoire?

J’ai consacré plus d’un an aux recherches avant d’écrire la moindre ligne. Cette immersion est absolument nécessaire pour que le côté historique ne paraisse pas 'plaqué' sur le récit. Il faut que ce soit fluide, évident. Pour le lecteur, mais aussi pour moi.

Si je dois sans cesse aller vérifier un détail, un fait historique pendant que j’écris, ça coupe l’inspiration, ça casse le rythme. Il vaut mieux s’imprégner avant de l’histoire, de la culture, du quotidien qu’on évoque, quitte à faire des vérifications rapides quand on a un doute. Dans ce sens, je dois dire que toutes les informations accessibles sur Idavoll m’ont beaucoup facilité la tâche!

 

  • Avez-vous d’autres projets artistiques, notamment en lien avec le monde nordique?

Oh oui!  J’ai écrit et composé une chanson pour les Corbeaux de Grimnir. C’est un peu devenu la chanson du clan. Alors on a décidé d’en faire un clip. Tournage prévu en mai. C’est très excitant!

 

  • Pour clôturer cet entretien, que recommanderiez-vous sur le thème des Vikings aux lecteurs d’Idavoll et pouvez-vous expliquer en quelques mots votre choix?

Un film?

Invitation au voyage, Arte - Photo-montage: Idavoll

Je trouve généralement les films assez caricaturaux, alors je dirais plutôt des documentaires ou des docu-fictions tels qu’on en voit sur Arte.

Une musique?

Le groupe Skáld, et bien sûr Wardruna. Pour moi, une belle alliance de la tradition et de la pop.

Une découverte ou un objet archéologique?

Danemark - Les inscriptions runiques de la grande pierre de Jelling - Photo: Musée national du Danemark

Les pierres runiques, car les symboles contenus dans les runes sont passionnants et me paraissent une belle entrée en matière pour comprendre la mentalité viking.

Un site à visiter?

Le musée viking de Lofotr, sur l’île de Vestvåg, dans l’archipel des Lofoten.C’est un habitat reconstitué d’après des fouilles archéologiques et c’est très émouvant !

Merci beaucoup, Jocelyne, pour le temps que vous avez consacré à cet entretien.

« Le Chant de l’Aulne » donne à entendre une ode sensorielle à la Nature-reine des terres septentrionales, mais également une ode à l’humanité, semblable à une polyphonie résiliente où chaque émotion résonne et interroge le fragile équilibre d’un monde sur le point de basculer.

De bout en bout, la plume de Jocelyne Giani entrelace avec tant d'ingéniosité la fiction et l’Histoire qu’elle réserve au lecteur les premières loges de ce voyage en l’an mille, on ne peut plus réaliste!

 

 

Le Chant de l'Aulne

La Païenne, tome 3

Bélissenda, bâtarde du vicomte d’Oloron, entreprend le voyage vers les terres des ancêtres vikings et samis de son compagnon Thorig, nouveau jarl de Selløya. Elle s’émerveille de la chaude lumière de l’été qui jamais ne s’éteint mais, quand Thorig rejoint ses alliés à la guerre, elle se retrouve seule avec leurs deux enfants dans ces contrées boréales dont elle ignore la langue et les coutumes.

Seule, face à l’adversité implacable de la nuit polaire, bleue et glaçante. Au cœur de cette aventure palpitante, sur mer, sur terre, bravant les rigueurs des saisons et les hasards de la vie, la jeune femme n’aura d’autre choix que de faire confiance à sa bonne étoile.

> Le livre est également disponible sur toutes les plateformes et librairies en ligne.

 

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