Danemark - Le site de Ågård interroge la structure du pouvoir politique à l'Âge Viking

Des trous de poteaux en grand nombre

Depuis que les fouilles de Ågård ont commencé, les découvertes s'enchaînent les unes après les autres, et ce malgré le fait que le financement des fouilles arhcéologiques par la région soit de plus en plus menacé. Qui plus est, l'état de conservation du site est de premier ordre. 

"En creusant, il est possible d'apercevoir des sillons qui vont jusque sur les constructions, voilà pourquoi nous procédons à des relevés au fur et à mesure. Mais quoi qu'il en soit, tout est vraiment bien préservé, et déjà avec les premières tranchées apparaissent les trous de poteaux et des fosses", indique Nanna Holm.

Selon elle, le grand nombre de maisons et de halles, comme leur position les unes par rapport aux autres, donnent à penser qu'il s'agit d'un village. 

Ces maisons racontent une histoire qui s'inscrit dans le contexte de l'immense forteresse circulaire viking de Borgring qui a été construite à la fin du Xème siècle.

Un voisin amical ou hostile?

Il est pratiquement inconcevable que les habitants de Ågård n'aient pas eu connaissance de l'existence d'une forteresse de la taille d'un stade de football à seulement 7km. La rivière Køge, qui à l'époque constituait la route principale jusqu'à la baie, passe à proximité du champ de Lellinge où se trouvait Borgring autrefois.

"Je ne peux imaginer que des gens vivant à Ågård aient ignoré ce qui se passait à Borgring", a confirmé Maja Schultz, conservatrice du musée Sydøstdanmark qui a participé aux fouilles du site. "Ågård s'inscrit dans la même période que Borgring, mais est aussi plus ancien -  là où tout suggère que Borgring fut utilisé sur une courte période, Ågård est un site qui existait au moins un siècle avant et qui continua sans doute après", a-t-elle ajouté.

Par conséquent, les archéologues cherchent à savoir, d'après la structure des bâtiments de cette communauté incroyablement bien conservés, si Ågård fut un voisin amical ou hostile.

En lien avec le site de Ljere?

Maja Schultz estime que Ågård occupait une surface de 3 à 4 hectares. Jusqu'à présent, seul un tiers de cette surface a été fouillée, environ 8000 m², mais les tranchées révèlent qu'il y a beaucoup plus à découvrir. 

"De nombreux éléments d'un trésor ont déjà été trouvée, y compris des lingots d'argent, des pièces de monnaie, des fragments de bijoux et des poids - mais il y a également un ensemble de maisons qui sont remarquables par un certain nombre de caractéristiques incroyables et récurrentes dans leur conception" , a expliqué Maja Schultz.

L'architecture très particulière des maisons a orienté l'interprétation du site par les archéologues. À savoir qu'elle rappelle étrangement la façon dont ont été construites les maisons de Lejre qui se situe à une distance d'à peine 20 km. Lejre était le fief de l'un des hommes puissants de l'Âge Viking. "Il y a des détails architecturaux qui sont si semblables qu'ils pourraient être copiés de Lejre. Cela pourrait en fait indiquer que le chef de Ågård était en étroite relation avec celui de Lejre", suggère l'archéologue Jens Ulriksen, qui intervient également à Ågård et à Borgring.

D'après les découvertes archéologiques, les chercheurs ont pu conclure qu'il vivait à Lejre un homme avec un statut très particulier. Certains sont même tentés de parler d'un roi. Des bâtiments jusqu'à 50m de long et 10 à 12m de large, donnent en effet à penser que Lejre a pu être un centre de pouvoir.

Un possible affrontement entre les puissances locales

Cet homme puissant de Lejre pourrait ne pas avoir vu d'un bon oeil l'édification de Borgring. Des preuves montrent que la construction des grandes halles s'est arrêtée à peu près au moment où la construction de la forteresse a débuté, permettant d'avancer une nouvelle théorie selon laquelle cela serait le résultat d'une lutte de pouvoir entre les deux.

"Nous travaillons à partir de l'idée que Borgring a eu un impact sur les sites dans la région, et donc il est bien sûr très intéressant de savoir si Ågård était du côté du pouvoir de Lejre ou était rattaché à la forteresse d'Harald à la Dent bleue", a indiqué Nanna Holm. "Il y a eu un changement à Lejre vers le Xème siècle - le site a perdu de son influence et cesse d'être une grande place. Nous sommes curieux de savoir si ce changement peut être perçu grâce aux constructions dans la région, et cela pourrait être justement le cas à Bjæverskov".

Des détails rappelant Lejre

"Ce sont des détails de construction très spécifiques qui conduisent les archéologues à penser à Lejre quand ils creusent à Ågård", poursuit Maja Schultz. En particulier les structures des pignons et la façon dont les murs sont construits.

"Nous avons trouvé un grand nombre de maisons, qui présentent beaucoup de détails bien conservés concernant leur conception tels que les lignes des murs de soubassement et les poteaux de soutien. Certains de des éléments qui leur sont propres concernent des poteaux pour les murs qui ne se rencontrent presque pas ailleurs ... sauf du côté de Lejre", a-t-elle souligné.

À proximité, le site de Toftegård, situé à Stroeby, au sud de Køge, est l'un des très rares endroits au Danemark qui présente quelques-unes des mêmes spécificités dans la construction. "Le parallèle entre les types de construction à Ågård et à Toftegård suggère que les deux sites ont probablement été soumis au roi de Lejre. Son influence s'est probablement étendue jusque là, et cela ne serait pas si surprenant, c'est très intéressant", selon Jens Ulriksen.

Prudence

Mais que peut-on vraiment déduire de ce type de construction? Est-il possible de définir qui était allié avec qui sur la base d'un pignon et de murs en bois?

Dans tous les cas, pour Tom Christensen, conservateur au Musée Roskilde qui a participé aux fouilles de Lejre, il faut être prudent avec les conclusions grandiloquentes: "Ce que l'on peut dire avec certitude, c' est qu'il y a un style de construction qui est commun aux deux sites. La question est de savoir s'il s'agit d'un style architectural régional que certains hommes de haut rang ont exploité sans nécessairement être connectés les uns aux autres, ou s'il existe une relation plus étroite entre eux ".

Tom Christensen doit cependant convenir que Lejre et Ågård connaissaient probablement l'existence de l'un et de l'autre, et que d'une manière ou d'une autre, les deux ont dû cotoyer Borgring.

"Mais de là à avancer que Ågård aurait appartenu à un homme de main ou à un autre homme de haut rang qui se serait entendu avec celui de Lejre, cela est discutable. Nous ne savons pas jusqu'où la sphère du centre de pouvoir qu'était Lejre s'étendait ".

De la structure du pouvoir

Il n'empêche que Ågård reste une pièce passionnante du puzzle, selon Tom Christensen, qui souligne également qu'il n'est pas au fait du détail des fouilles menées à Bjæverskov.

"S'il s'agissait d'un guerrier dévolu au service du roi, cela étendrait donc l'emprise du roi de Lejre après tout, ce serait au moins ça, et c'est passionnant. Le pouvoir du roi à cette période dépendait fortement des grands hommes qui le soutenaient", explique Tom Christensen.

Selon Nanna Holm, il est important de savoir pour la structure du pouvoir, si Ågård était du côté du roi de Lejre ou du côté du roi de Borgring, puisque le projet de Borgring est tombé à l'eau. Car "Y a-t-il eu un roi à Lejre? Ou s'agissait-il même d'un plus grand roi encore? Le roi de Lejre était-il juste un vassal qui contrôlait un vaste espace avec quelques délégations sous ses ordres? Il est si difficile de s'y retrouver dans les sources écrites sur cette période où il y a tant de rois et de roitelets avec divers surnoms, que nous dépendons vraiment de bonnes découvertes concrètes."

Une datation en cours

D'après Nanna Holm, les fouilles comme celles menées à Ågård permettent aux archéologues d'en apprendre davantage sur la société à l'Âge Viking, et c'est justement l'idée du projet majeur dans cette région, dont font partie à la fois Ågård et Borgring.

L'étape suivante consiste à découvrir si les constructions permettent de révéler un changement du pouvoir à la fin du Xème siècle, alors que Borgring était en cours de construction. Que ce soit par exemple, explique Jens Ulriksen, pour constater que Ågård disparaît alors qu'elle n'est plus dans le champ du pouvoir du roi de Lejre.

"Nous sommes curieux de voir à quoi ressemblaient les bâtiments avant et après l'édification de Borgring. Le scénario de rêve aurait été le fait qu'ils puissent avoir été incendiés ou abandonnés, alors nous aurions été en mesure de relever de façon certaine que quelque chose est arrivé à ce moment-là. Cela n'a pas eu lieu, mais peut-être que la datation nous fournira une information supplémentaire", a conclu Jens Ulriksen.

Les maisons de Ågård ne sont pas encore datées, mais les analyses scientifiques sont en cours. Les fouilles sont terminées pour cette année et elles reprendront au printemps 2017.

Source: www.videnskab.dk (traduction et réécriture Kernelyd)

La plus récente des principales découvertes faites à Ågård est un ornement qui serait d'après les archéologues, une représentation de Loki très rare. La découverte a été faite par le détectotriste Knud Kristian Laursen.

"L'objet ornementait une ceinture ou une sangle. Loki est un motif très, très rare. Nous ne connaissons qu'une autre représentation de Loki découverte à Uppåkra en Suède, qui est l'un des sites majeurs de l'époque des Vikings", relate l'archéologue Nanna Holm.

Cet objet était porté par un homme, mais Nanna Holm et Jens Ulriksen ne savent pas quelle signification son propriétaire lui avait attribué et ne peuvent émettre que des hypothèses à ce sujet. 

Une interprétation controversée

Le conservateur du Musée national, Peter Vang Petersen, se montre plus critique sur l'interprétation de Nanna Holm et de Jens Ulriksen. Il ne reconnaît pas sur cet objet une représentation de Loki, trop différente de celle découverte à Uppåkra selon lui. Il y voit plutôt la figuration d'un oiseau aux caractéristiques anthropomorphiques.

Peter Vang Petersen pense également que le motif de l'oiseau correspond mieux à ce qui est représenté ici car les oiseaux étaient des symboles du dieu Odin. D'après lui, Loki n'est pas une figure que les Vikings auraient voulu arborer.

Une découverte qui renforce le statut particulier de Ågård

Nanna Holm et Jens Ulriksen admettent que l'archéologie n'est pas une science exacte mais conservent leur point de vue.

Il y a quelques temps un petit personnage sur un trône, figurant Odin ou Frigg, a été découvert à Lejre. Or ce type de représentations, comme ici avec Loki, est aussi très rarement découvert dans la plupart des sites de cette époque.

Sans concurrencer Lejre, Ågård était donc, selon les archéologues, non seulement une véritable communauté avec de grandes halles mais, comme ils le soupçonnaient, probablement le fief d'un roi ou de l'un de ses bras droit dans la zone autour de Køge. 

Source: www.videnskab.dk (synthèse et réécriture Kernelyd)