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Norvège - Une rarissime maison mortuaire de l'Âge Viking au milieu d'un tumulus

Les vestiges d'une maison récemment découverts au milieu d'un tertre funéraire fournissent de nouvelles informations sur la façon dont les Vikings enterraient leurs morts.

"C'est une découverte très rare et intéressante", a déclaré Raymond Sauvage, archéologue au Musée d'Histoire naturelle et d'Archéologie, rattaché à l'Université norvégienne des Sciences et de la Technologie (NTNU) à Trondheim. Il dirige les fouilles sur un site funéraire se trouvant dans l'une des grandes fermes de l'Âge Viking à Vinjeøra, un village de la municipalité de Heim dans le comté de Trøndelag.

Une maison mortuaire rarissime

Norvège - Découverte d'une maison mortuaire à Vinjeøra - Photo: Raymond Sauvage /NTNU VitenskapsmuseetLa maison mesure 5 mètres de long sur 3 mètres de large. Elle possédait un toit reposant sur des poteaux aux quatre coins et les murs étaient faits de planches dressées à la verticale. D'après les archéologues, c'était une solide construction bien qu'il ne reste plus à présent que les contours d'un rectangle et quelques pierres de soutènement là où se trouvaient les murs autrefois. Le style de construction est typique de l'Âge Viking, mais le bâtiment est loin d'être anodin au regard du site sur lequel il se trouve. 

C'est lors des fouilles menées dans le cadre du développement de la nouvelle route E39 à Vinjeøra, que la découverte a eu lieu. Les archéologues savaient déjà qu'il s'agissait d'un ancien établissement de l'époque viking. Jusqu'à 7 tertres funéraires se trouvent sur le site. Il ont tous été arasés par des centaines d'années d’exploitation agricole, mais les traces qui ont émergé sous la couche de terre arable et la tourbe ne laissent aucun doute.

Vu d'en haut, les cercles formés par les tumuli sont bien visibles. Et au milieu de l'un d'eux, ce ne sont pas les contours d'un navire qui ont surgi, mais ceux d'une maison. "Nous pouvons voir que la maison se trouve au milieu d'un grand tertre funéraire​. C'est la raison pour laquelle nous savons qu'il y avait probablement une sépulture à l'intérieur de la maison. Nous savons que des gens ont été inhumés dans des bateaux. Nous comprenons désormais que des personnes ont aussi eu une maison en guise de tombe", a expliqué Raymond Sauvage. 

 

De la morgue à la résidence

Au total, moins de 15 maisons de ce type ont été découvertes dans toute la Norvège. D'autres ont été trouvées en Suède et au Danemark, mais ces maisons mortuaires de l'Âge Viking sont rares. C'est pourquoi les archéologues ne sont pas certains de ce qu'elles représentent. "Par le passé, les chercheurs ont souvent interprété ces maisons de manière très pragmatique. Elles étaient perçues comme un type de morgue où les morts étaient conservés - par exemple, en attendant le dégel du sol", a précisé le responsable des fouilles.

Cependant, une telle interprétation n'explique pas pourquoi la maison de Vinjeøra a été intégrée à un tertre funéraire et pourquoi, à d'autres endroits, des tombes ont été trouvées à l'intérieur des maisons. Aussi, la plupart des scientifiques pensent à présent que ces maisons ont eu une fonction plus symbolique que pratique. "Nous pouvons comparer avec les bateaux tombes - un rite qui a eu lieu à la même époque que celui de la maison mortuaire. Là, le bateau est censé aider les défunts à accomplir leur voyage vers le royaume des morts", a rappelé Sauvage, avant de poursuivre: "Peut-être ont-ils construit une maison pour les personnes décédées, afin qu'elles puissent rester à la ferme et la protéger, ainsi que leur famille." 

Dans les croyances qui ont précédé la conversion au christianisme, les morts vivaient littéralement dans leur tumulus. Les défunts devaient être alimentés, avec des offrandes sous forme de nourriture et de boisson. Si les morts étaient satisfaits de ces moyens de subsistance, ils pouvaient aider leur parentèle par de bonnes récoltes dans les champs et la fertilité des animaux domestiques comme de la famille. En conséquence, si un défunt possédait sa propre maison dans son tumulus, il y avait probablement aussi une plus grande chance pour qu'il y reste et ne revienne pas hanter les vivants sous la forme d'un daugr ("un revenant").

 

Une histoire de passage

"Les maisons sont intéressantes car elles montrent à quel point maisons et morts ont été étroitement liés à l’Âge du Fer et l'Âge Viking", a déclaré Marianne Hem Eriksen du Musée d'Histoire culturelle à Oslo. Elle a longtemps étudié les rituels et les coutumes de ces deux périodes, et plus particulièrement ce qui concerne les maisons. [cf. La maison: entre architecture et rituels, une autre porte d'entrée dans l'Âge Viking]

Même si elle n'a pas participé aux fouilles menées à Vinjeøra, elle a connaissance par ailleurs de découvertes similaires qui selon elle, aident à comprendre que la mort à cette époque était un processus: "Les maisons mortuaires, comme celle de Vinjeøra, ont peut-être été le théâtre d'actions et de rituels qui ont contribué au passage de la mort biologique à la mort sociale."

"Les maisons mortuaires ne sont pas les seules découvertes que nous ayons qui montrent un lien étroit entre les maisons et les morts à l’époque viking. Il existe de rares exemples d’inhumation à l'intérieur des maisons au cours de l’Âge du Fer et de l'Âge Viking. En outre, il existe quelques exemples de tumuli recouvrant des maisons, peut-être pour donner à la maison-même une sépulture", a-t-elle ajouté.

 

Tout un panel de rites funéraires

Il est extrêmement rare que les archéologues aient l'occasion d'examiner un cimetière entier, comme ils le font actuellement à Vinjeøra. Cela a rarement été le cas en Norvège auparavant. "Cela nous donne une occasion unique d’en apprendre davantage sur la façon dont les Vikings ont traité leurs morts. Dans ce cimetière, nous avons une grande variété de rites funéraires - des bateaux tombes, des tombes marquées d'une pierre, des crémations et une maison mortuaire. Il va être très intéressant d'explorer davantage ce panel", a confié Raymond Sauvage.

Les fouilles vont se poursuivre cet automne et l'année prochaine.

D'après l'archéologue, il ne fait aucun doute que ce qu'ils mettent au jour ici est d'une grande importance. "L'analyse de toutes les découvertes au sujet des tombes nous donnera un aperçu complet de la communauté qui vivait là, sur le domaine qui se trouvait ici à l'époque viking. Cela nous permet de visualiser des liens qui, autrement, ne seraient pas visibles. Je pense que ce que nous découvrons ici donnera un énorme coup de pouce à la connaissance de l’Âge Viking dans son ensemble."

De dødes hus E39

07.09.2024 - Les coutumes funéraires de l'Âge Viking revisitées grâce aux maisons mortuaires de Skeiet

Les fouilles archéologiques menées à Skeiet, dans le village de Vinjeøra, ont permis de mettre au jour trois maisons funéraires de la fin de l'Âge du Fer et de l'Âge Viking. Ces découvertes, récemment interprétées par les chercheurs, révèlent certains aspects méconnus des pratiques funéraires des anciens Scandinaves et des interactions entre les vivants et les morts.

Les trois structures, semblables à des habitations domestiques, couvrent une période comprise entre 500 et 950 de notre ère. Selon toute vraissemblance, elles auraient fait partie intégrante de rituels funéraires qui permettaient aux vivants de rendre visite aux morts et de créer, dans un espace intimiste, une relation sans doute "perçue comme une partie naturelle des liens entre la famille et ses ancêtres".

C'est notamment ce que le Dr Raymond Sauvage et le Dr Richard Macphail avancent dans leur étude publiée le 1er Juillet 2024, dans la revue Medieval Archaeology.

 

De l'absence de sépulture

Les maisons mortuaires, généralement situées dans des contextes funéraires tels que les cimetières, sont polyvalentes et peuvent contenir des tombes, des sépultures ou même servir à entreposer les restes incinérés de personnes défuntes. Certaines étaient également utilisées comme lieux où les vivants pouvaient laisser des offrandes aux défunts ou vénérer leurs morts.

Celles mises au jour en Scandinavie ont peut-être eu une fonction similaire. Mais les trois maisons mortuaires de Vinjeøra ont la particularité de ne pas comporter de sépulture permanente, contrairement aux autres précédemment répertoriées  - soit douze en Norvège et une en Suède.

"Je pense que le plus surprenant est que nous n'avons trouvé aucune trace de tombe permanente ou de personne enterrée à l'intérieur des maisons. De plus, le fait qu'elles aient des portes et entrées qui auraient pu conduire à la maison mortuaire et au tumulus était quelque chose auquel je n'avais pas pensé avant de les étudier", explique le Dr Sauvage.

 

Accessibles en position accroupie

La présence de portes et de seuils suggère, selon les chercheurs, que l'intérieur des maisons mortuaires était en permanence accessibles aux vivants, leur donnant l'opportunité de rendre visite aux dépouilles et d'interagir avec elles.

À l'entrée de chacune des trois structures, le tassement du sol le confirme et indique des passages très fréquents. En outre, les individus devaient probablement s'accroupir pour pénétrer dans la pièce tant l'ouverture était basse.

Une conception qui n'est pas étrangère au Dr Sauvage: "En nous basant sur la relation entre la taille du tumulus et le plan de la maison, nous devons supposer qu'il fallait s'accroupir. La pièce à l'intérieur devait être assez petite et sombre, même si l'entrée laissait passer un peu de lumière qui en éclairait certaines parties. La plupart des maisons mortuaires que je connais sont de taille similaire".

 

Un exemple de continuité

Norvège - Interprétation artistique de la maison mortuaire Skeiet, G13, et le contour possible du tumulus - Illustration: Arkikon, NTNU University MuseumD'après les datations effectuées, la première des trois structures a été érigée pendant l'Âge du Fer, entre 450 et 600 de notre ère. À cette époque, la crémation était la principale pratique funéraire dans ce cimetière.

Plus tard, une deuxième structure a été construite, entre le VIIème et le IXème siècle, tandis que les inhumations devenaient plus courantes.

Enfin, la troisième maison mortuaire a été construite entre le IXème et le milieu, voire la fin, du Xème siècle, alors que la mise en terre avait quasiment remplacé le rite de la crémation.

Ainsi, relèvent les deux experts, chaque structure a été utilisée pendant près de 100 à 200 ans, formant un élément essentiel et immuable des coutumes funéraires pendant au moins quatre siècles, soit jusqu'à la fin des enterrement païens.

"Les maisons mortuaires offrent un exemple de continuité de longue durée dans les rituels funéraires pratiqués, offrant un contraste avec les pratiques funéraires hétérogènes et changeantes observées dans les sépultures" écrivent-ils dans leur étude.

 

Des traces de sacrifices?

Bien qu'aucune sépulture n'ait été retrouvée à l'intérieur des maisons mortuaires de Skeiet, d'autres découvertes telles que des fragments d'os, des pointes de flèches et des clous, peuvent aider à éclaircir la fonction remplie par ces structures.

Parmi les ossements retrouvés, ceux d'un cheval ont notamment été identifiés. Il est peut-être question d'un sacrifice proche du blót, un rituel sacrificiel au cœur de nombreuses pratiques religieuses nordiques. Souvent mentionné dans les récits ultérieurs et contemporains de l'ancienne religion nordique, le blót était généralement associé aux fêtes, mais aussi aux rituels funéraires.

Bien qu'il n'existe aucune preuve à proprement parler de l'acte sacrificiel, d'autres os d'animaux mis au jour dans les tranchées des murs portent des traces de brûlure. Cela pourrait signifier qu'ils ont été cuits, peut-être dans le cadre de repas rituels liés aux défunts ou de rites funéraires, ce qui n'est pas sans rappeler la tradition pré-chrétienne en Norvège consistant à déposer sur les tumuli de la nourriture et des boissons en offrande aux morts.

 

Un espace de "transfert symbolique"

La conception des maisons mortuaires, semblable à celle des habitations de l'époque, peut renvoyer aux croyances d'alors selon lesquelles les défunts continuaient de vivre dans l'au-delà à l'intérieur des tumuli. Mais là encore, en raison de l'absence de sépulture, les chercheurs envisagent qu'elles n'aient servi qu'à entreposer les corps le temps qu'ils soient préparés pour leur enterrement.

Cette hypothèse serait fidèle à la description du lettré Ibn Fadlan qui témoigne dans le récit de ses voyages en tant que membre de l’ambassade du Calife de Bagdad au roi des Proto-Bulgares de la Volga au Xème siècle, d'un rituel funéraire nordique auquel il a assisté. Au cours de ce dernier, le corps a été entreposé dans une chambre en bois pendant 10 jours afin de préparer et rassembler la nourriture et les offrandes funéraires.

Raymond Sauvage et Richard Macphail en concluent que la maison mortuaire pourrait avoir constitué un espace, plus intime et privé, de manipulation, d'exposition et d'interaction avec les défunts servant à opérer "le transfert symbolique de la mort biologique à la mort sociale".

 

De nombreuses questions en suspens

Les maisons mortuaires de Skeiet restent encore très énigmatiques et nécessitent des recherches supplémentaires pour vraiment comprendre leur fonction, de l'aveu même des auteurs: "Les études à venir devraient se concentrer davantage sur l'intérieur pour obtenir de meilleures données sur leur utilisation. Nos indices étaient fragmentés et plusieurs questions restent sans réponse, comme l'aspect de la pièce, l'existence d'un espace dédié pour disposer le corps et l'aspect de chaque entrée".

Le seuil de ces maisons renvoie éminemment au seuil entre le monde des vivants et le monde des morts, ce qui donne à penser aux chercheurs que de telles structures pourraient avoir eu des entrées comportant des superstructures ou des entrées couvertes, comme pour souligner encore davantage leur signification rituelle.

"Il faudrait également essayer de mieux comprendre leur association avec les tumuli. Sommes-nous en mesure de récupérer des preuves stratigraphiques démontrant qu'elles [les maisons mortuaires] ont été recouvertes par un tertre, ou bien le tumulus a-t-il été construit ultérieurement ?" s'interrogent-ils.

 

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Commentaires

  • ADALRIK ANSWALD
    • 1. ADALRIK ANSWALD Le 27/09/2019
    Merci beaucoup pour cette information fortement intéressante

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