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Norvège - Une église anglo-saxonne en pierre datant de l'Âge Viking découverte sur le plus ancien lieu de culte des Saints du pays

De récentes investigations ont révélé les vestiges d'une ancienne église sur l'île de Selja, lieu présumé du martyre de Sainte Sunniva et de ses fidèles au Xème siècle. L'édifice religieux, qui présente des caractéristiques de construction typiques de la tradition anglo-saxonne, pourrait être l'un des tout premiers de Norvège bâti à l'Âge Viking en pierres de taille.

Au total, environ 300 églises en pierre ont été construites en Norvège au Moyen Âge, après la création en 1152 de l'archevêché de Nidaros (actuellement Trondheim) pour la plupart d'entre elles. Au mois de février, le gouvernement a annoncé un investissement de plusieurs milliards pour empêcher la détérioration des 159 églises en pierre restantes.

C'est dans le cadre des travaux de conservation des ruines de l'église de pèlerinage dédiée à Sainte Sunniva, sur l'île de Selja, que la découverte a été faite. Réalisés par l'Institut Norvégien de Recherche sur le Patrimoine culturel (NIKU) en collaboration avec la société Bakken & Magnussen, pour le compte de la municipalité de Stad, ils ont permis de déceler les traces d'une église encore plus ancienne, qui pourrait dater de l'époque d'Olav Tryggvason.

Les résultats de ces travaux ont été publiés le 4 Juin 2024 dans la revue archéologique META- Historiskarkeologisk Tidsskrift.

 

La légende de Sainte Sunniva

La légende raconte que Sunniva, héritière d'un royaume irlandais, dut s'enfuir lorsqu'un roi païen voulant l'épouser envahit son pays. Elle partit avec un petit groupe de fidèles à bord de trois navires, sans rames ni voiles, qui dérivèrent au gré des courants océaniques vers le nord.

À la suite d'une tempête, ils finirent par s'échouer sur l'île de Selja, sur la côte ouest de la Norvège. Cependant, les habitants de la région se mirent à soupçonner ces chrétiens étrangers de leur voler des moutons et se plaignirent auprès du jarl de Lade, Haakon Sigurdsson, qui se rendit sur place avec un groupe d'hommes armés.

Craignant de tomber entre les mains des païens, Sunniva et sa suite se cachèrent dans une grotte et prièrent leur dieu d'être épargnés. Des rochers s'effondrèrent et bouchèrent l'entrée de la caverne, les condamnant par là même à mort.  

Quelques années plus tard, des miracles se produisirent sur l'île, parmi lesquels l'apparition d'une colonne de lumière au-dessus de l'île qui décida le roi Olav Tryggvason à faire ouvrir la grotte en 996. D'après les sources écrites, il y découvrit le corps intact de Sunniva reposant, comme endormie, parmi les ossements des siens, et construisit une église sur "l'île éternelle face à Stadhavet", c'est-à dire-Selja.

 

Un centre religieux au XIème siècle

Selja, dans la municipalité de Stad (comté de Vestland), occupe une place particulière dans l'histoire du pays. La concentration de ruines sur l'île témoigne de l'importance du site au Moyen Âge, en lien avec la légende de la martyre qui figure parmi les trois saints les plus importants de Norvège à cette époque, aux côtés de Saint Olav et de Saint Hallvard.

Le site abrite les vestiges d'une église épiscopale, d'une abbaye bénédictine qui a conservé son clocher, d'un complexe de terrasses à flanc de montagne et d'une église de pèlerinage qui se dresse devant la chapelle rupestre située à l'entrée de la grotte.

Olav Haraldsson serait à l'origine, en 1024, de la fête célébrée le 8 juillet en mémoire de Sainte Sunniva - la "Seljumannamesse" étant l'un des premiers cultes de saints connus en Norvège - tandis qu'Olav Kyrre fonda vers 1068 le premier évêché de Norvège occidentale sur l'île. 

Le culte de Sainte Sunniva ne cessa ensuite de prendre de l'ampleur, si bien qu'en 1170 ses reliques furent transférés à Kristkirken, la cathédrale de Bergen, où elle devint la sainte patronne de la ville.

 

Des pierres plus anciennes

Norvège - Les vestiges de l'église Ste Sunniva - Photo: Regin Meyer/ NIKUJusqu'à présent, il était admis que l'église de pélerinage dédiée à Sainte Sunniva avait été construite à la même époque que l'église épiscopale. Cependant, l'étude de la maçonnerie de l'édifice menée dans le cadre des travaux de conservation par Regin Meyer, archéologue du NIKU spécialisé dans l'Archéologie du bâti, a permis d'identifier la présence de pierres plus anciennes réutilisées en partie dans les sols et les murs.  

"D'après les matériaux de construction les plus anciens, dont une partie est encore sur place tandis que d'autres ont été réutilisés lors des restaurations de 1909 et 1967, il apparaît que le chœur actuel était à l'origine un bâtiment monocellulaire", explique le chercheur. 

Ces pierres indiquent donc qu'il existait à l'origine un bâtiment religieux plus petit, de la taille d'une chapelle ou d'un oratoire, qui fut agrandi au fil du temps jusqu'à atteindre les dimensions de l'église actuelle dont les ruines peuvent se visiter. "L'enquête a révélé des traces inconnues d'une phase de construction précoce dans l'église de pèlerinage, qui est interprétée comme une chapelle en pierre construite avant l'établissement du siège épiscopal à Selja vers 1068-70", écrit Regin Meyer dans son rapport.

Bien que difficile à dater avec exactitude, l'archéologue suggère que le bâtiment originel pourrait remonter à l'époque d'Olav Tryggvason. Qu'il soit plus ancien de quelques années ou de plusieurs décennies, il doit être considéré, selon lui, comme l'un des premiers en pierres maçonnées du pays, voire peut-être comme le tout premier édifice chrétien en pierre de taille.

 

Une architecture anglo-saxonne

L'examen approndi des pierres les plus anciennes a également permis de documenter des éléments architecturaux typiques de la tradition et du savoir-faire anglo-saxons, à une époque où l'Ouest norvégien se trouvait fortement influencé par l'Angleterre.

Olav Tryggvason en personne fut notamment baptisé en Angleterre, en 994, parrainé par le roi Æthelred II, avant d'initier dans son propre royaume la conversion au christianisme. "Cette ancienne chapelle en pierre inhabituelle doit être le résultat d'impulsions venues de l'autre côté de la mer du Nord, à une époque où les prêtres anglo-saxons et les conceptions chrétiennes ont été amenés avec les efforts de conversion et de conquête royale", estime Régin Meyer. 

"Il semble probable que non seulement un savoir-faire clérical mais aussi artisanal ait été acquis par le constructeur de l'autre côté de la mer du Nord", résume-t-il. 

"Compte tenu de son âge, cette très ancienne église devait être consacrée aux Seljemen [messes données en mémoire de Sainte Sunniva et de ses compagnons]. L'origine de ce culte est inconnue, mais il est considéré comme le premier connu en Norvège. Il est donc formidable de pouvoir présenter ces résultats 1 000 ans après la création supposée de la fête de Sainte Sunniva: 1024 - 2024", conclut l'archéologue.

 

Des historiens enthousiastes

"Le seul commentaire qui me vient maintenant est tout simplement 'wow'! Si cela est vraiment exact, c'est absolument fantastique", s'est exclamée Anne Irene Risøy, professeur au Département de la Culture, de la Religion et des Sciences sociales de l'Université du Sud-Est de la Norvège (USN).

La nouvelle de ces découvertes, largement relayée dans la presse locale, a été accueillie avec un grand enthousiasme par les historiens norvégiens. "C'est très intéressant", a déclaré Sigrun Berg, professeure d'Histoire ancienne au Département d'archéologie de l'Université de Tromsø (UiT). 

"Selja est un lieu presque mythique, avec de nombreuses strates d'histoire. Il n'est pas surprenant de faire des découvertes encore plus anciennes que celles que nous connaissions jusqu'à présent, mais c'est très intéressant. Cela montre que nous avons encore beaucoup à apprendre sur notre histoire, également dans les lieux qui ont fait l'objet de nombreuses recherches dans le passé. Des découvertes comme celle-ci montrent à quel point il est important d'ouvrir l'oeil, afin de pouvoir ajouter de nouvelles pièces au puzzle qu'est notre propre histoire", relève Ola Fjeldheim de la Société pour la préservation des anciens monuments norvégiens (Fortidsminneforeningen).

Visa Aleksis Immonen, professeur au Département d'Archéologie, d'Histoire, d'Études culturelles et religieuses de l'Université de Bergen, abonde dans ce sens :"Selja est l'un des lieux les plus importants de Norvège en ce qui concerne l'établissement du christianisme et de l'Église à la fin de l'Âge Viking et au début du Moyen Âge. Sans surprise, il a été étudié et fouillé depuis le XIXème siècle. La nouvelle enquête montre néanmoins qu'il est encore possible de trouver de nouvelles informations importantes sur la ville. Cette nouvelle et importante enquête a été menée de manière très détaillée et il semble certain qu'il y avait une église antérieure sur le site, avant l'établissement du siège épiscopal de Selja. La datation de ce bâtiment est encore caractérisée par une incertitude. Il s'agit peut-être d'un style anglo-saxon, comme cela a été suggéré. Cela concorde bien avec ce que nous savons du christianisme primitif en Norvège. Mais cela montre aussi qu’il reste encore beaucoup de recherches à faire en ce qui concerne Selja."

 

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