Norvège - D'exceptionnelles tombes de femmes du début de l'Âge Viking mises au jour à Fitjar
- Le 20/12/2024
- Dans Archéologie
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Un site funéraire datant du début de l'Âge Viking a été découvert sur une petite butte rocheuse de la côte ouest norvégienne, à Fitjar. Les riches et remarquables artefacts mis au jour par les archéologues leur permettent de retracer l'histoire des femmes fortunées enterrées là avec magnificence, il y a 1200 ans.
Ce sont des amateurs de détection de métaux du Bjørgvin Metalldetekorklubb qui ont trouvé en 2023 une pièce de monnaie et une broche avec des fragments de tissu au lieu-dit Skumsnes, sur la commune de Fitjar, dans le comté de Vestland. Ils ont immédiatement contacté les archéologues de l'Université de Bergen, lesquels ont confirmé que ces artefacts provenaient certainement d'un site funéraire de l'Âge Viking.
Grâce à un financement de la Direction du Patrimoine Culturel de Norvège (le Riksantikvaren), trois tombes ont été fouillées cet automne, mais il pourrait y avoir une vingtaine de sépultures à explorer.
"De nombreuses personnes enterrées là étaient parées de bijoux précieux. Il est remarquable de trouver un cimetière avec des objets aussi bien conservés. Du point de vue de la recherche, c’est un petit trésor", a déclaré Søren Diinhoff, archéologue du Musée universitaire de Bergen.
Trois femmes et une grande ferme
Les tombes fouillées sont celles de trois femmes qui vécurent au début de l'Âge Viking, dans la première moitié du IXème siècle.
À cette époque, il y avait une grande ferme à Skumsnes qui appartenait probablement à un roi local dont le pouvoir s'étendait peut-être à l'échelle de toute une région de l'ouest de la Norvège. "En dessous du niveau des domaines royaux se trouvent des fermes stratégiques telle que Skumsnes", souligne Søren Diinhoff.
Son emplacement le long de la côte rendait probablement le site attrayant pour des voyageurs à la recherche d'un port sûr. "Au nom du roi, on fournissait un abri aux navires de passage, ce qui générait probablement des revenus supplémentaires", avance-t-il pour expliquer pourquoi les tombes sont ici plus riches que d'ordinaire.
46 perles de verre et 11 pièces d'argent
Une des femmes a été enterrée dans une crevasse naturelle de la roche, recouverte ensuite de pierres - une forme d'inhumation qui, selon Diinhoff, n'a rien d'inhabituelle le long de la côte à l'époque viking.
Dans cette tombe, les archéologues ont découvert des bijoux, une broche de forme triangulaire en mosaïque de verre et émail doré provenant d'Irlande ou d'Angleterre et des broches tortues caractéristiques de l'époque viking que les femmes utilisaient pour attacher leurs robes-tabliers.
Des restes du mobilier funéraire ont été retrouvés à l'extérieur et autour de la tombe, ce qui suggère que la sépulture a déjà été ouverte par le passé.
L’autre tombe, avec des pierres disposées en forme de bateau, est celle d'une femme d’un rang supérieur. Sous les pierres, la présence de rivets révèle l'empreinte d'un bateau-tombe de 4 mètres de long.
Cette sépulture contenait également des broches tortues et d'autres bijoux, parmi lesquels un collier composé de 46 perles de verre et de 11 pièces d'argent.
Une découverte remarquable
L'une des pièces en argent est une monnaie très rare provenant des villes danoises de Hedeby ou Ribe. Elle a été frappée dans le sud du Danemark entre 820 et 840 de notre ère. "Cette pièce est peut-être la découverte la plus remarquable ici. Je compte me la faire tatouer cet hiver", confie Søren Diinhoff.
Les autres pièces semblent être des monnaies carolingiennes. Elles datent également de la même époque mais proviennent de l'Empire franc, ce qui suggère que la femme avait des liens avec le continent.
"Ces deux femmes avaient des contacts en dehors de la Norvège. Ce n'est probablement pas une coïncidence. Peut-être qu'elles venaient de l'étranger et qu'elles se sont mariées avec des membres de la communauté locale", hypothèse l'archéologue.
De la production textile
La femme dans le bateau-tombe n'a pas seulement été enterrée avec de beaux bijoux. Il y avait également des ciseaux à laine, une carde, un fuseau et une épée à tisser, tous des objets nécessaires à la production de textiles.
Aussi, les archéologues pensent qu'elle était chargée de ce type de travaux à la ferme. "La production textile était prestigieuse. Les fermes qui produisaient de beaux vêtements jouissaient d’un statut élevé", précise Søren Diinhoff.
Par ailleurs, cette femme a été inhumée avec une clé en bronze qui signifie, d'après lui, qu’elle jouait également le rôle de chef de famille.
Une pierre vulvaire à la place du mât
Aucune des tombes ne contient de restes humains. C'est un problème que rencontrent souvent les archéologues dans l'ouest de la Norvège où la nature du sol ne permet pas la conservation du matériel osseux.
Néanmoins, les perles de verre et les pièces de monnaie qui formaient un collier ont été retrouvées au-dessus d'une masse organique sombre, comme si elles avaient été placées à l'intérieur d'une pochette en cuir plutôt que de servir de parure à la défunte.
Søren Diinhoff et ses collègues se demandent donc si la tombe ne serait pas un cénotaphe - une tombe vide qui sert de mémorial. Et ce d'autant plus qu'ils ont fait une autre découverte. "C'est un petit détail, mais c'est incroyablement intéressant", annonce Diinhoff.
Au milieu du bateau-tombe, une pierre marque l'emplacement du mât. Lorsque les archéologues l'ont retournée, ils ont constaté qu'elle ressemblait à une "pierre vulvaire", c'est-à-dire une pierre avec la forme des organes génitaux féminins. "Le fait que la pierre ressemble à une vulve de femme n'est pas une coïncidence. C'est tellement évident", soutient-il.
La théorie selon laquelle elle aurait été placée là pour symboliser la femme qui n'a peut-être pas été enterrée dans cette tombe pourrait en effet expliquer la raison pour laquelle les objets n'ont pas été trouvés sur un squelette.
Tout un cimetière sous la tourbe
La troisième tombe n'a pas été entièrement fouillée. Les archéologues ont tellement été accaparés par les nombreuses découvertes dans les deux premières qu'ils ont manqué de temps.
Ils ont cependant réussi à récupérer un certain nombre d'objets, parmi lesquels 20 perles et les restes d'un bijou plaqué en argent.
Ils ont également identifié deux autres tombes et estiment, grâce aux détecteurs de métaux, qu'il pourrait y en avoir une vingtaine sur le site. "Le cimetière se trouve juste sous la tourbe. Les signaux étaient si forts que nous pouvions presque localiser les broches", rapporte Søren Diinhoff.
Des tombes qui risquent de disparaître d'ici 50 ans
En plus du site de Skumsnes, les archéologues du Musée universitaire de Bergen ont fouillé quatre sépultures de l'époque viking à Berstad, dans la municipalité de Stad. "En un an, nous avons fouillé plus de tombes de l'époque viking que nous ne le faisons normalement en dix ans", constate Diinhoff.
Si le hasard leur permet de faire certaines découvertes, une grande partie d'entre elles sont dues aux passionnés de détection de métaux. Aussi, selon lui, il faudrait procéder à davantage de fouilles de ce type, les sépultures de l'époque viking étant généralement plus faciles à repérer en raison des objets qu'elles contiennent.
"Mais lorsque les gens les trouvent sur leur propriété, ils restent la plupart du temps silencieux. Cela arrive très souvent ", déplore-t-il. "Quand nous arrivons enfin sur place, nous apprenons souvent qu'une sépulture a été découverte il y a des années, mais qu'elle a tout bonnement été labourée. Nous perdons ainsi un nombre considérable de ces tombes".
Une idée fausse circule selon laquelle il serait coûteux de les faire examiner, mais Søren Diinhoff assure que ce n'est pas le cas puisque le gouvernement norvégien prend en charge les frais. S'il estime qu'il est bénéfique que certaines restent intactes pour être fouillées dans 50 ans grâce à des méthodes qui permettront de découvrir encore plus de choses qu'aujourd'hui, il craint d'un autre côté que beaucoup d'entre elles ne tiennent pas d'ici là étant donné qu'elles se trouvent à une faible profondeur, juste à la limite de la couche de terre arable.
Entre bijoux et moyens de paiement
Unn Pedersen, archéologue à l'Université d'Oslo, est une experte de l’Âge Viking qui a étudié les bijoux, l’artisanat et les objets décoratifs de cette période.
À ses yeux, la pièce de monnaie de Hedeby constitue en soi une découverte passionnante: "Une pièce d’argent comme celle-ci sur un collier de perles montre que l’Âge Viking fut une période de transition". Une nouvelle forme de commerce est apparue, mais l'échange de cadeaux était encore prédominant en Scandinavie. Par conséquent, l'argent de cette période se retrouve sous de nombreuses formes différentes.
"Pour la femme enterrée ici, ce bijou avait peut-être une plus grande valeur. Il pouvait raconter une histoire au sujet de son identité et du réseau auquel elle appartenait", explique la spécialiste, avant d'ajouter: "Une discussion est en cours sur la signification de cet argent. Dans ce cas, la pièce de monnaie est devenue un bijou et a été enterrée dans une tombe. Mais elle aurait tout aussi bien pu être découpée et utilisée comme moyen de paiement".
Le travail du textile, source d'enrichissement des femmes
Un autre bijou retrouvé dans cette tombe provient du détournement d'un artefact. Il s'agit d'une garniture de baudrier carolingien qui a été transformée en broche trilobée.
"Cela montre de quelle façon de l’équipement militaire français a été transformé en bijoux en Scandinavie. Au début, les accessoires ont été réutilisés et modifiés, comme c’est le cas ici. Mais au fil du temps, des bijoux inspirés de ce design ont commencé à être produits localement", souligne Unn Pedersen.
Ce type de broche est devenu populaire auprès des femmes à l'époque viking. Les premiers modèles imitaient les motifs végétaux des ornements d'origine carolingienne, alors que par la suite les motifs animaliers, davantage prisés dans les régions nordiques, sont devenus prédominants.
Les tombes de Skumsnes sont, d'après l'experte, des exemples typiques de sépultures pour des femmes fortunées de l'époque viking, caractérisées par une combinaison de bijoux et d'outils textiles. "Si elles n’étaient pas membres de l’élite, ces femmes étaient certainement très haut placées dans la hiérarchie sociale et économique", certifie-t-elle.
Outils et bijoux reflètent non seulement le rôle des femmes dans la société d'alors, mais ils évoquent aussi une réalité: l'augmentation du commerce et de la demande en voiles de navire et de textiles qui ont offert des opportunités aux femmes. "Grâce au travail du textile, les femmes ont pu, au début de l’Âge Viking, accumuler des richesses", conclut Pedersen.
- Source: www.sciencenorway.no (traduction et réécriture / Kernelyd)
Ci-dessous la vidéo des fouilles menées par les archéologues du Musée universitaire de Bergen présentant les artefacts mis au jour.
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