Norvège - Jellhaug, quand un des plus grands tumulus du pays défie les interprétations archéologiques
- Le 11/04/2025
- Dans Archéologie
- 0 commentaire
Jellhaug se trouve à deux pas de l'endroit où a été découvert en 2018 le bateau-tombe de Gjellestad. De nouvelles investigations avec un radar à pénétration de sol et des carottages ont fourni aux chercheurs de précieuses informations sur sa structure, susceptibles de renverser les idées reçues sur la fonction des grands tumuli.
Avec ses quelques 80 mètres de diamètre et ses 10 mètres de hauteur, Jellhaug, situé sur les terres de la ferme de Gjellestad dans la municipalité de Halden, est souvent considéré comme le deuxième plus grand tumulus de l'est de la Norvège, surpassé uniquement par celui de Rakne à Romerike. Mais l'origine et la nature-même de sa construction, sa datation comme sa fonction, soulèvent de nombreuses questions depuis sa découverte.
Les archéologues de l'Institut norvégien de Recherche sur le Patrimoine culturel (NIKU), qui ont récemment publié les résultats de leurs travaux sur ce monument dans la revue Viking, soutiennent que la notion de grands tumulus comme indicateurs de centralisation du pouvoir ou de statut est erronée, car elle présuppose invariablement qu'ils représentent des sépultures de haut rang sans corrélation avec les données archéologiques.
Leur examen d'interprétations alternatives, telles que "l'idée que ces tertres aient pu être construits à des fins totalement étrangères aux pratiques mortuaires", s'inscrit dans le cadre du projet de recherche Viking Nativity: Gjellestad Across Borders dont l’objectif est à la fois d’explorer le rôle de Gjellestad en tant que centre de pouvoir à l’Âge du Fer et à l’Âge Viking, mais aussi de comprendre comment de tels sites ont contribué à la création et au maintien des identités collectives, de la politique et des royaumes en Scandinavie.
Une précédente étude incomplète
Jellhaug a déjà fait l'objet de recherches menées par l'archéologue Erling Johansen dans les années 1960, mais le rapport incomplet ne dit pas s'il s'agit d'un seul grand tumulus ou bien d'une élévation naturelle du paysage accueillant plusieurs tertres plus petits.
"Malheureusement, le rapport des fouilles des années 1960 ne nous renseigne pas à ce sujet, car une grande partie des documents a été perdue", indique Lars Gustavsen. Il est l'archéologue qui a dirigé les enquêtes de terrain dans le cadre du projet Viking Nativity, au cours de laquelle une équipe a effectué des relevés géoradar complémentaires autour de l'épave du navire à Gjellestad.
De plus, il est probable que ce qui peut être vu aujourd’hui – un tumulus de forme ovale avec une surface à la base de 70 à 85 mètres, culminant à près de 11 mètres - ne soit pas une représentation exacte de ce à quoi ressemblait le tertre à l’origine. En effet, Erling Johansen a fait reconstruire en 1989 le tumulus en forme de cône à l'aide d'un bulldozer, en déplaçant la terre "qu'il considérait comme des déblais de pilleurs de tombes" des bords du tumulus vers son sommet, ce qui a réduit son diamètre de quelques mètres par rapport à sa forme originale, et augmenté sa hauteur d'environ 4 à 5 mètres.
Un autre problème concerne les datations assez approximatives qui figurent dans ce rapport, car la technologie de l’époque n’était pas aussi sophistiquée qu’elle l’est de nos jours. "Les deux échantillons qui ont été utilisés pour déterminer l’âge du tumulus ont donné des dates entre 350 et 650 de notre ère, et entre 670 et 990 après J.-C. Avec de tels écarts, il est difficile d'avancer quoi que ce soit sur la manière dont le tumulus pouvait être connecté aux autres découvertes faites dans la région de Gjellestad", poursuit l'archéologue.
Aucun ossement humain n'a été trouvé
D'après les légendes locales, Jellhaug serait la sépulture du roi "Jell", inhumé dans son navire. Cependant, seul un fragment d'une grossière perle d'ambre d'un diamètre de 1,3 centimètre et environ 150 grammes de fragments d'os brûlés d'origine animale ont été répertoriés par Erling Johansen, avec quelques restes possibles de bois, des traces de rouille et une couche de charbon de bois.
Aucun ossement humain n’a été trouvé malgré son emplacement à proximité de sites funéraires importants, si bien que Jellhaug rejoint les rangs de ces grands tumulus où il n'existe pas de preuves certaines d'inhumation à l'instar du tumulus de Rakne mentionné précédemment, de plusieurs tertres de Borre, du tumulus de Halvdan à Ringerike et d'autres encore. "La question est donc de savoir si ces tumulus doivent être considérés comme des tertres funéraires ou bien s’ils avaient une signification complètement différente pour leurs constructeurs", souligne Lars Gustavsen.
Afin de réunir des éléments de réponses et replacer Jellhaug dans le contexte des découvertes faites à Gjellestad, les archéologues ont effectué des carottages ciblés dans la masse du tumulus et prélevé des échantillons pour diverses analyses.
La chercheuse et archéologue Rebecca Cannell explique comment ils ont procédé: "Avant le carottage, nous avons effectué un relevé détaillé du monticule grâce au géoradar pour trouver des zones exemptes de roches. De cette façon, nous avons limité les risques que le carottier s’arrête ou se bloque, tout en espérant que les résultats du radar à pénétration de sol pourraient nous donner des informations plus avancées sur les couches à l’intérieur du tumulus."
Des résultats qui ont dépassé toutes les attentes
Les relevés ont été réalisés avec une antenne basse fréquence, et en hiver, ce qui a permis d'optimiser la pénétration des signaux du radar dans le monticule suivant des cordes tirées à sa surface à des intervalles d'un mètre.
Grâce à cette méthode, les archéologues ont obtenu un total de 80 profils détaillés à travers les couches du monticule. Et les résultats ont dépassé leurs attentes.
"Non seulement nous avons eu un aperçu de l’endroit du tumulus où il était le plus pertinent de prélever des échantillons par carottage, mais nous avons également obtenu une carte numérique détaillée du tertre et de sa structure", précise Rebecca Cannell.
Les échantillons extraits des carottes ont été utilisés pour la datation au radiocarbone et des analyses micromorphologiques.
"Les résultats sont actuellement en cours de traitement, mais nous avons déjà confirmé que Jellhaug a probablement été construit entre la période des migrations et la période mérovingienne, et que les couches qui le composent sont constituées de divers types de matériaux provenant de l'environnement local", a annoncé la chercheuse.
Une structure complexe
La structure du tumulus, stratifiée, s'est révélée bien plus complexe que ce que pensaient les deux chercheurs, ce qui suggère une pluralité de fonctions envisagées dès sa conception et sur un temps long, au-delà du traditionnel rôle unique de tertre funéraire pour personne de haut rang.
"Une alternative, par conséquent, serait de voir ces tumulus 'vides' comme des structures complexes construites dans le cadre d'un effort communautaire pour servir de centre rituel pour les rites de passage ou pour les célébrations de rituels saisonniers, ou peut-être comme un site ayant une signification cosmologique", avancent-ils.
La transformation du tumulus à la fin des années 1980 témoigne, selon eux, des idées préconçues comme des attentes initiales qui biaisent encore de nos jours les travaux de recherche, en particulier sur l'Âge Viking: "Les actions de Johansen, notamment son espoir que Jellhaug abritait un navire viking, et sa reconstruction à une taille et une forme qu'il n'a sans doute jamais eues, constituent un exemple extrême d'une interprétation anachronique des grands tumulus."
La datation montre qu'il y a eu une activité dans cette zone à la même époque où certaines des maisons longues, dont une mesurant 60 mètres de long, ont été construites sur le site de Gjellestad.
Néanmoins, les archéologues considèrent que l'état actuel de leurs connaissances est insuffisant pour formuler de plus larges conclusions quant à l'importance ou la fonction du tumulus. "Des recherches plus approfondies sur les grands tumulus en général, et sur Jellhaug en particulier, sont donc nécessaires pour mieux comprendre leur fonction et leur rôle dans le façonnement du paysage archéologique", concluent les auteurs de l'étude.
- Source: www.niku.no (traduction et réécriture / Kernelyd)
- Lire l'étude: Rethinking Jellhaug
viking archéologie Norvège tumulus tertre funéraire Gjellestad
Ajouter un commentaire