Norvège - De nouvelles recherches sur le bateau de Myklebust, futur fleuron du patrimoine viking national
- Le 26/10/2024
- Dans Archéologie
- 0 commentaire
C'est un événement majeur. Pour la première fois depuis 150 ans, les archéologues ont rouvert le tumulus du potentiel plus grand bateau-tombe de l'Âge Viking jamais découvert à ce jour. Il y ont trouvé plusieurs centaines d'artefacts et ... une bouteille contenant un message.
Les fouilles archéologiques du tumulus qui abrite les traces du bateau-tombe de Myklebust, en centre-ville de Nordfjordeid, dans l'ouest de la Norvège, se sont achevées cette semaine. Elles ont été diligentées dans le cadre d'un inventaire des biens du patrimoine culturel norvégien de l'époque viking, avec l'objectif à terme d'une candidature du site au patrimoine mondial de l'UNESCO.
Le jeudi 17 Octobre, Hanna Geiran, la directrice générale de la Direction du Patrimoine Culturel de Norvège (le Riksantikvaren), ainsi que Margareth Hagen, la rectrice à l'Université de Bergen (UiB) se sont rendues sur place et ont pris part au travail des archéologues.
"Avoir la chance de concourir à une découverte aussi remarquable que le navire de Myklebust, sur un site aussi primordial pour l'Âge Viking, est quelque chose que je n'aurais jamais pensé vivre", a déclaré Morten Ramstad, chef de projet des fouilles et directeur de la Section de gestion du patrimoine culturel de l'Université de Bergen.
Éclipsé par Gokstad et Oseberg
Le tumulus que les gens de la région appellent "Rundhøjjen" a été fouillé en 1874 par un jeune archéologue berguénois, Anders Lorange. En creusant un puits dans le tertre funéraire, il trouva le premier les traces d'un bateau et un certain nombre d'objets datés de la fin du VIIIème siècle.
Le bateau-tombe fut appelé Myklebust d'après le nom de la ferme, "Myklebustgarden", où il a été mis au jour et où se trouvaient 5 tertres funéraires.
Hélas, sa découverte fut rapidement éclipsée par celles du bateau de Gokstad en 1880 et du bateau d'Oseberg en 1904, tous deux dans un état de conservation qui leur a permis depuis lors d'être exposés tandis qu'il n'y avait, pour ainsi dire, rien à montrer du navire de Myklebust, brûlé lors des funérailles.
Par la suite, le site est presque tombé dans l'oubli sans jamais être correctement examiné. Du moins jusqu'à récemment.
À 75% intact
Le rapport d'Anders Lorange, qui ne disposait pas des méthodes d'analyse et des moyens technologiques de l'Archéologie d'aujourd'hui, s'est avéré avare en informations sur la largeur et l'emplacement de la tranchée excavée en 1874.
"Lorsqu'Anders Lorange a examiné le tumulus il y a 150 ans, il l'a fait selon les méthodes de l'époque. Nous sommes désormais en mesure de mener des fouilles plus approfondies – et d'en apprendre davantage encore", a expliqué Hanna Geiran.
Dès lors, les archéologues de l'Université de Bergen, en collaboration avec l'Université de Stavanger (UiS), ont dû procéder par étapes. Avant de donner le premier coup de pelle, ils ont étudié à l'aide d'un géoradar la structure et la composition du tertre funéraire, comme du sol à ses abords, afin de concentrer leurs recherches sur les couches remblayées par leur prédécesseur.
Les résultats qu'ils ont obtenus - et qui se sont avérés exacts lorsqu'ils ont commencé à creuser - montrent que seulement 1/4 du tumulus a été fouillé il y a un siècle et demi. Cela signifie donc que 75% du tertre de 30 mètres de diamètre et de 4 mètres de haut, est resté intact.
Plusieurs milliers de rivets
Aux 600 rivets et 42 umbos de boucliers répertoriés en 1874 et conservés à Bergen, il faut à présent ajouter la découverte de plus de 600 artefacts, parmi lesquels 500 rivets en bien meilleur état, avec parfois des restes de bois, des umbos de boucliers et un anneau en bronze. "Nous en avons découvert autant que Lorange", relève Morten Ramstad.
La totalité des artefacts donne une idée plus précise des dimensions impressionnantes du bateau-tombe. "Plus de 1000 rivets ont été trouvés alors que nous n'avons fouillé qu'un quart du tumulus. Commencez simplement à compter. Peut-être parlons-nous en tout de plusieurs milliers de rivets pour ce navire", avance l'archéologue en estimant que leur nombre pourrait dépasser les 5000.
"Il s'agit peut-être du plus grand navire viking de Norvège, mais nous n'en sommes pas sûrs", nuance prudemment Hanna Geiran. "Une analyse plus approfondie des rivets permettra de mieux appréhender la longueur et la fonction de ce navire".
À titre d'exemple, plus de 3000 rivets ont été découverts sur le bateau de Gokstad qui ne mesure "que" 23 mètres de long. Le plus long navire connu datant de l'Âge Viking est le Roskile 6, mis au jour en 1997 lors de la construction du port du Musée des Navires vikings à Roskilde. En ajoutant la proue et la poupe à la quille de 32 mètres de long, ce navire atteint une longueur totale de 36 à 37 mètres.
Des vestiges d'un ancien centre de pouvoir
En sus des artefacts, les archéologues ont aussi mis au jour du matériel osseux. Il provient sans doute d'animaux sacrifiés lors des rituels funéraires mais, selon eux, il n'est pas exclu que des personnes aient également accompagné le défunt dans l'au-delà.
Les relevés du géoradar, réalisés par l'équipe de l'Université de Stavanger, ont par ailleurs permis de détecter la présence d'autres tombes dans et autour du tumulus de Myklebust, dont une à proximité dépourvue de superstructure, ainsi qu'un établissement de l'époque viking avec les vestiges alentour de plusieurs bâtiments qui pourraient être des ateliers de fabrication.
"Le but ici était d'en savoir plus sur le tumulus, mais aussi sur ses environs. Les fouilles montrent qu'il s'agissait d'une grande ferme et d'un centre de pouvoir", a annoncé Hanna Geiran.
"Nous avons maintenant acquis la certitude qu'il existe là un établissement culturel intact de l'époque viking. Cela semble presque irréel. C'est une expérience formidable. Nous sommes incroyablement chanceux d'avoir reçu cette mission de la part de l'Autorité nationale du Patrimoine Culturel", confie Morten Ramstad.
Une porte d'entrée vers le royaume des morts
Une autre découverte d'Anders Lorange mentionnée dans son rapport de fouille, a pu être confirmée par les données du géoradar. Il s'agit de la présence d'un large fossé comblé au XIXème siècle qui ceignait le tumulus, avec deux ponts.
Ramstad et ses collègues n'ont aucune certitude quant à la fonction de ce fossé de quatre mètres de large et d'un mètre de profondeur, qui pourrait avoir servi de douves. "L'objectif principal était probablement de fournir des matériaux de construction pour le tumulus. Mais cela devait également rendre le tertre funéraire plus imposant qu'il ne l'était en réalité", suppute l'archéologue.
"Il s'agissait d'une porte d'entrée vers le royaume des morts, et cette surface d'eau de quatre mètres de large entourant le tumulus devait créer une scène spectaculaire", a-t-il poursuivi.
Une "bouteille à la mer" dans un bateau-tombe
Personne ne s'attendait à trouver à l'intérieur du tumulus une bouteille avec un message de la part d'Anders Lorange.
"J'ai fait de nombreuses et merveilleuses découvertes au cours de ma carrière, mais celle-ci est probablement la meilleure. L'exaltation s'est emparée de tous les archéologues présents pendant de nombreuses heures. Cela a été une formidable expérience de partager ce moment avec les collègues", confie Morten Ramstad.
Lorange est cependant connu pour avoir laissé des messages sur d'autres sites. Dans celui du tumulus de Rakne datant de 1870, découvert lors de fouilles en 1940, il s'adressait à ses "très estimés collègues chercheurs!" et leur souhaitait plus de chance que lui.
Ici, c'est la rectrice de l'Université de Bergen, Margareth Hagen, qui aura l'honneur d'être la première à lire ce qui est écrit, une fois que les conservateurs de l'UiB auront réussi à retirer le papier de la bouteille - où de l'eau a pénétré - en toute sécurité. En attendant, les archéologues ont pris soin avant de refermer la tranchée en déposant à leur tour une bouteille mais n'ont rien révélé à quiconque du message qu'ils y ont glissé.
Un trésor pour l'avenir
Au VIIIème siècle, plusieurs centaines de jours de travail ont sans doute été nécessaires pour édifier un tumulus de cette taille, symbole du pouvoir du défunt. C'est la raison pour laquelle certains pensent qu'il pourrait s'agir de la sépulture du roi Audbjørn qui, d'après l'Histoire des Rois de Norvège de Snorri Sturluson, est mort au combat en 876 lors de la bataille de Solskjel contre Harald Ier dit "à la Belle Chevelure".
Seule la fouille de l'ensemble du tertre funéraire serait susceptible de fournir des réponses. Mais le tumulus a été refermé lundi 21 Octobre 2024 car, comme l'a expliqué Hanna Geiran: "Le patrimoine culturel est une ressource non renouvelable. C'est un trésor pour l'avenir que nous recherchons".
"Il est très important de disposer de traces physiques pour une demande d'inscription à la Liste du patrimoine mondial. Nous en avons dorénavant, ce qui renforcera l'évaluation que nous allons présenter au Ministère du Climat et de l'environnement en vue de l'inscription sur la liste indicative norvégienne", a-t-elle assuré.
(Lire la suite de l'article sous la vidéo)
Le seul exemple de crémation d'un bateau
Au total, sept tumulus avec des bateaux-tombes sont en train d'être cartographiés. Les six autres sont celui de Gjellestad dans le comté d'Østfold), Storhaug dans le comté de Rogaland (à Karmøy), Herlaug dans le comté de Trøndelag (à Leka), ainsi qu'Oseberg, Gokstad et Borre dans le comté de Vestfold.
Toutefois, le Myklebust a ceci de particulier qu'il est le seul dans cette liste à avoir été brûlé lors des funérailles. Environ la moitié des sépultures de l'époque viking dans l'ouest de la Norvège, aux VIIIème et IXème siècles, sont des tombes à crémation, rappelle Morten Ramstad.
"Mais nous ne connaissons pas d'autres sépultures avec un navire incluant une crémation. C'est ce qui rend le navire de Myklebust si unique parmi les bateaux-tombes vikings", confirme-t-il.
L'analyse des échantillons prélevés par les archéologues devraient révéler comment s'est déroulée la crémation, à quelle époque de l'année a eu lieu l'inhumation et si le navire a été brûlé sur place ou ailleurs avant d'être déplacé vers le lieu où il se trouve.
Entre identité locale, histoire nationale et patrimoine mondial
Beaucoup de gens, habillés comme à l'époque viking, sont venus assister à l'ouverture du tumulus de Myklebust. "Il y a un engagement conséquent et un grand intérêt pour l'Archéologie et l'Âge Viking en Norvège. Ici, à Nordfjordeid, il s'agit d'une question d'identité locale, mais aussi d'histoire nationale. Peut-être qu'à terme, il pourra également faire partie du patrimoine mondial", espère Hanna Geiran.
C'est le gouvernement qui décide si un bien du patrimoine culturel doit être inscrit sur la liste indicative de la Norvège. Et c'est aussi le gouvernement qui décide si un bien de cet inventaire nécessite que la Norvège lance le processus de candidature à la Liste du patrimoine mondial de l'UNESCO.
"Le fait que nous sachions désormais clairement quelle partie du tumulus est intacte et quelle partie a été fouillée par le passé assure de nouvelles connaissances sur ce monument culturel central de l'époque viking. Le Conseil du Comté est chargé de prendre soin de notre patrimoine culturel commun. Nous sommes impatients de poursuivre ce travail, tant les enquêtes elles-mêmes que le processus menant à la candidature à l'UNESCO", a conclu Kine Bratli Dale, responsable adjointe du Comité pour la Culture, les Sports et l'Inclusion au Conseil du comté de Vestland.
- Sources: www.riksantikvaren.no, www.nrk.no, www.vg.no, www.sciencenorway.no (traduction et synthèse/ Kernelyd)
Le Myklebust
Les travaux d'Anders Lorange ont précédemment guidé la conception d'une réplique possible du navire de Myklebust, construite à Bjørkedalen. Elle a été achevée et mise à l'eau en 2019. Avec ses 30 mètres de long et ses 24 paires de rames, il peut accueillir 90 personnes à son bord. Quand il ne navigue pas dans le fjord à moins de 500 mètres du tumulus de Myklebust, il est exposé dans le bâtiment de Sagastad, spécialement conçu pour lui comme une sorte de hangar à bateau moderne.
- Site officiel: www.sagastad.no
18.11.2024 - La bouteille du tumulus de Myklebust a été ouverte
La bouteille découverte dans le tumulus de Myklebust a dû être sciée pour extraire le message de l’archéologue Anders Lorange sans l'abîmer. Le Musée de l’Université de Bergen a révélé son contenu dans un récent communiqué de presse.
À l'intérieur de la bouteille déposée dans le tumulus de Myklebust il y a 140 ans, se trouvaient une carte de visite et une lettre du découvreur, ainsi que cinq pièces de monnaie de son époque enveloppées dans un morceau de papier.
Une liste des découvertes
Le premier document à être extrait de la bouteille était une carte de visite au nom d’Anders Lorange sur laquelle figure sa fonction en tant qu’archéologue du Musée de Bergen.
Un autre nom est écrit à la main au bas de la carte, celui d’Emma Gade.
Le second document est une lettre rédigée par Anders Lorange dans laquelle il liste ce qu’il a trouvé en ouvrant pour la première fois le tumulus de Myklebust:
"Ce tumulus a été fouillé Anno Domino 1874. Par Anders Lorange, Antiqvarius Norvegiæ. Le tumulus a été construit sur des tombes humaines. Ils ont été brûlés dans leur navire avec leurs armes et leurs équipements. Il y avait 26 umbos de boucliers, 2 épées, une hache et de nombreuses flèches - en plus de nombreuses autres antiquités. Les découvertes ont été remises au musée de Bergen."
Entre erreur et omissions
Une erreur a été relevée par les archéologues dans la lettre de Lorange, qui indique avoir trouvé 26 umbos de bouclier alors que le tumulus en contenait en réalité 44.
Le message de 1874 omet également de mentionner d’autres découvertes plus intéressantes au sujet du navire de Myklebust, comme le récipient en bronze avec du matériel osseux.
"Cela nous apprend que même si Lorange était l'archéologue du musée, ce n'est pas lui qui a fait les fouilles proprement dites. Ce sont des ouvriers agricoles locaux qui s’en sont chargés. Par conséquent, il n'avait probablement pas une vue d'ensemble complète lorsqu'il a déposé la bouteille avec son message avant que le tumulus ne soit remblayé", a expliqué Morten Ramstad, le chef de projet des fouilles et directeur de la Section de gestion du patrimoine culturel de l'Université de Bergen.
Des runes pour sa "petite amie"
Au bas de la lettre, Anders Lorange a également écrit un message en runes.
Mais les experts en écriture runique, auxquels Morten Ramstad a fait appel, ont eu du mal à déchiffrer ce qui était écrit.
"Finalement, nous avons réalisé que Lorange ne connaissait pas les runes et s’était contenté de transcrire directement une phrase en utilisant l'alphabet runique plus récent ", a-t-il souligné.
Ainsi, les experts sont parvenus à la traduction suivante : "Emma Gade, ma petite amie".
Exposés pour le 200ème anniversaire du Musée
Si Emma Gade de Bergen devint plus tard l'épouse d’Anders Lorange, ce n’est pas la première fois que l’archéologue laissait une lettre dans une bouteille avec une déclaration d’amour.
"Une bouteille similaire a été trouvée lors des fouilles du tumulus de Rakne en 1939. Là, Lorange avait écrit une déclaration d'amour à Ingeborg Heftye, mais on sait qu'elle finit par épouser quelqu'un d'autre", indique le chef de projet.
La bouteille et son contenu vont rejoindre les collections du Musée universitaire, où ils occuperont probablement une place centrale lors de l'exposition du 200ème anniversaire du Musée l'an prochain.
- Source: www.uib.no (traduction et réécriture / Kernelyd)
Vendredi 15 novembre, les recherches sur le tumulus de Myklebust ont été élues DÉCOUVERTE DE L'ANNÉE 2024 par les archéologues norvégiens. (Source: www.forskning.no)
viking archéologie Norvège Myklebust bateau tombe navire tumulus UNESCO
Ajouter un commentaire