Norvège - De macabres rituels funéraires à l'Âge Viking
- Le 29/04/2020
- Dans Archéologie
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À l'Âge Viking, les gens avaient une relation à la mort complètement différente de celle entretenue de nos jours. De nouvelles recherches ont en effet établi que les Vikings vivaient avec des morceaux de crânes et des enfants mort-nés dans leur maison.
La culture populaire livre une image claire de la façon dont les gens traitaient les morts au cours de l'Âge Viking Les films et les livres parlent de défunts guerriers et marchands placés sur des navires brûlés en mer ou enterrés sous d'immenses tumuli. Ils emportaient avec eux leurs objets les plus précieux, à commencer par leur bateau, lors de leur dernier voyage vers le valhalla, le royaume des morts du dieu Odin. Mais les découvertes archéologiques racontent une toute autre histoire.
À présent, la recherche est en mesure de démontrer qu'il existait d'autres rituels funéraires, plus obscures et macabres. "Des parties de cadavres étaient parfois placés autour des fermes et à l'intérieur des maisons longues. Cet acte était probablement intentionnel" a déclaré l'archéologue Marianne Hem Eriksen de l'Université d'Oslo.
Dans le cadre de ses travaux, elle a examiné 40 découvertes archéologiques en Scandinavie de restes de crâne datant de l'Âge du Fer, environ 250 ans avant notre ère jusqu'à la fin de l'Âge Viking, vers 1050. "Il devait être important pour eux d'avoir leurs morts à proximité. Il était logique sans doute que des parties de défunts soient intégrées à la vie quotidienne", a-t-elle déclaré.
Des morts sous les seuils et les planchers
Des morceaux de crânes et des squelettes de nourrissons ont été mis au jour, entre autres, sous les seuils de porte et les planchers. Mais ces découvertes ne font l'objet d'aucune étude particulière et sont souvent expliquées par le simple fait que les ossements proviennent de lieux de sépulture voisins qui auraient été dérangés ou détruits.
Adopter ce point de vue revient à commettre une erreur, dénonce Eriksen: "Beaucoup d'indices révèlent que ces actes étaient planifiés et délibérés". Selon elle, la maison était conçue comme un mémorial, témoignant du désir de ses habitants d'être physiquement proche de leurs défunts.
Gunnhild Røthe, une experte en Histoire des Religions qui a écrit plusieurs ouvagres sur les croyances nordiques, a manifesté un vif intérêt pour cette nouvelle approche sur les crânes et les squelettes mis au jour dans les habitations de l'époque. "La mort était une mort biologique, mais pas une mort sociale. Cela se reflète également dans plusieurs sources écrites au sujet de cette époque", a-t-elle souligné.
Des enfants mort-nés dans les murs des maisons
Auparavant, Eriksen avait déjà étudié le cas de 52 squelettes d'enfants de l'Âge Viking retrouvés dans des maisons ou les fosses attenantes. Certains des jeunes enfants, en particulier les nouveau-nés jusqu'à l'âge d'un an, étaient enterrés dans les fondations des murs et les fosses dans la cour, ou encore près du foyer des cuisines autour duquel tout le monde se rassemblait pour manger. "Dans certaines régions, il semble que déposer les cadavres des enfants dans la maison ait été une tradition depuis des générations", a précisé l'archéologue.
D'après les sources écrites en Scandinavie et en Europe du Nord, tuer des nourrissons n'était pas un acte rare et même, dans une certaine mesure, un fait socialement accepté. Tant qu'il ne possédait pas encore de nom, un nourrisson n'était pas encore considéré comme étant nécessairement une personne. Il fallait que le petit être ait un nom, des dents, etc... avant d'être considéré comme un individu à part entière.
"L'une des raisons pour lesquelles les enfants étaient déposés dans et autour des maisons résidait peut-être dans le fait qu'ils étaient perçus comme des objets magiques - pas tout à fait humains, ni tout à fait objets. Ils créaient peut-être un lien entre les gens, les maisons et le lieu. La même chose pourrait s'appliquer aux morceaux de crâne", a expliqué Eriksen.
Le pouvoir des morts
Lorsqu'un être humain meurt, sa personnalité et son savoir ne disparaissent pas nécessairement. "Que les os aient pu être une protection contre les esprits malfaisants et les sorts est également une possibilité. Mais je pense que la relation avec les restes osseux était plus complexe que cela", a confié Eriksen.
Il est difficile de dire si ces ossements déposés dans les maisons étaient les restes de proches parents, d'ennemis ou esclaves. À cette époque, il n'existait pas de petits temples ou de lieux de rassemblement. La maison était au cœur des rituels en tant que lieu de vie au quotidien et en tant que lieu de rassemblement social.
"Nous avons surtout trouvé de nombreux restes de crânes dans les maisons. Je pense que la tête peut avoir été utilisée de différentes manières. Soit pour préserver l'essence d'une personne décédée, soit pour tenter délibérément de détruire la personnalité d'un ennemi", a indiqué l'archéologue.
Le crâne avait une signification particulière
La plus fameuse découverte d'un bout de crâne de l'Âge Viking a été faite à Ribe, au Danemark. Ce morceau de boîte cranienne est percé et gravé de runes citant les noms des dieux nordiques Odin et Tyr. Plusieurs experts pensent qu'il pourrait s'agir là d'une amulette pour soulager les douleurs et guérir des maladies.
Il existe par ailleurs des exemples du pouvoir attribué à la tête dans la mythologie nordique. Gunnhild Røthe cite l'histoire bien connue de la tête de Mímir, décapitée après la guerre entre les Ases et les Vanes. Odin prend soin de la tête, l'enduit d'herbes afin qu'elle ne pourrisse pas et la ramène à la vie. Capable de parler et de révéler des secrets occultes, la tête de Mímir servira de conseillère à Odin.
Eriksen et Røthe pensent toutes deux que ce récit mythologique contribuait à renforcer l'importance de la tête et du crâne pour les gens de l'époque viking.
Changer de regard
Il est impossible de comprendre la société d'il y a 1000 ans à partir des schémas de pensée d'aujourd'hui sur la vie et la mort, hérités du siècle des Lumières et de la Révolution industrielle. De nos jours, il existe une dichotomie entre la vie et la mort, alors qu'à l'Âge Viking, la mort faisait partie intégrante du quotidien des vivants.
Aussi, l'archéologue considère qu'il est nécessaire d’adopter une approche émique, c'est-à-dire d'étudier la réalité culturelle telle qu'elle était vécue par les membres de la société en particulier. "Je veux me rapprocher au plus près de la réalité des gens de l'Âge Viking, sans essayer de l'expliquer par le prisme du Siècle des Lumières en séparant nature et culture, corps et esprit, sacré et profane, ou du point de vue du capitalisme selon lequel tout consiste à améliorer sa position et à maximiser son profit. Bien sûr, cela ne signifie pas légitimer ce qui pour nous est une terrible vision de l’humanité."
Étudier la façon dont les gens à l'époque considéraient la vie et la mort peut, selon Røthe, nous permettre d'en apprendre davantage sur nous-mêmes. "La connaissance du passé montre que nous ne pouvons pas tenir les valeurs d'aujourd'hui pour acquises. Nos ancêtres vivaient dans une société imprégnée de violence. En conséquence, les gens concevaient d'une façon complétement différente la dignité humaine et le rapport au corps".
Moins de louanges sur l'Âge Viking
Dans les sagas et les poèmes héroïques, il est question des rois et des guerriers, de leurs victoires et de leurs défaites. Mais ceux-ci se tenaient à la tête de centaines et de milliers de petites gens dont l'histoire n'a jamais été raconté. Ce sont les hommes qui racontent l'Histoire, souvent écrite longtemps après que la Scandinavie ait été converti au christianisme.
Il en va de même pour le matériel archéologique. La moitié environ de la population n’aurait pas bénéficié d’une sépulture au cours de l’Âge Viking, selon les estimations des chercheurs. "Nous tirons toujours des conclusions sur la base des tombes de l'élite et les rendons universellement valables pour l'ensemble de la société", a relevé Eriksen.
Dans ses recherches, elle souhaite mettre l’accent sur d'autres groupes sociaux au sujet desquels elle déplore qu'il semble presque naturel et convenu de n'avoir aucun récit, tels que les enfants, les femmes, les gens modestes, les esclaves et domestiques. "Nous nous intéressons encore beaucoup trop aux chefs et aux rois", constate celle qui a déjà publié un article sur l’exposition des nourrissons et des jeunes enfants [i.e l'abandon d'enfants non désirés ou fragiles] au cours du premier millénaire de notre ère.
Eriksen espère que ses recherches pourront contribuer à une meilleure compréhension de l'Âge Viking, et moins de louanges: "Nous devons parler des victimes de l'Âge du Fer et de l'Âge Viking, et de la relation à la mort. Il doit également y avoir davantage de recherches sur les esclaves, les enfants, les personnes fragiles et d'autres qui ont payé le prix de l'émergence de communautés et de royaumes en guerre au premier millénaire".
- Sources: www.nrk.no, www.apollon.uio.no (traduction et réécriture Kernelyd)
Texte lu par Zélie Meldøttir pour TVNC, en partenariat avec Idavoll
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