Islande - Le mythe de la colonisation viking renversé par les dernières découvertes archéologiques
- Le 17/06/2020
- Dans Archéologie
- 0 commentaire
Des archéologues mènent actuellement des fouilles à la ferme de Stöð, dans l'Est de l'Islande. Les artefacts et les vestiges qu'ils mettent au jour sur ce site de l'Âge Viking ébranlent le récit mythique de la colonisation du pays: des camps saisonniers ont précédé l'établissement permanent des Vikings sur la 'Terre de Glace'.
Il était une fois un brave chef viking appelé Ingólfur Arnarson. Il voyagea avec sa famille et ses esclaves à la recherche d'une terre au-delà de la mer que seule une poignée d'explorateurs avait visitée jusque-là. Quand Ingólfur vit cette nouvelle terre inhabitée émerger de la mer, ne sachant rien de ses opportunités ou des défis qu'elle présentait, il demanda aux dieux des instructions sur l'endroit où s'installer. Ingólfur fit jeter les montants sculptés de son haut-siège par-dessus bord, prêtant serment de construire sa ferme à l'endroit où ils toucheraient terre.Les dieux firent s'échouer les montants dans la baie de l'actuelle Reykjavik, où Ingólfur élut domicile en 874.
Pendant des siècles, les chercheurs se sont référés à ce simple conte rédigé par le premier historien islandais, Ari Þorgilsson, au début du XIIème siècle, pour expliquer, l'origine de la colonisation de l'Islande. Que ce soit dans le Landnámabók, le livre de la colonisation, comme dans les sagas, l'Islande était censée avoir été colonisée par de nobles chefs vikings fuyant la tyrannie de la couronne norvégienne. Mais les archéologues révèlent une toute autre histoire.
Le mur de 874
Le Landnámabók et les sagas, composés entre le XIème et le XIVème siècles, fournissent aux Islandais une mine d'informations unique sur l'Histoire de la société à ses débuts en Islande. Pourtant, d'après Bjarni F. Einarsson, responsable des fouilles archéologiques menées sur un site de l'Âge Viking au lieu-dit de la ferme de Stöð, ce qui pourrait passer pour un atout majeur a aussi représenté un handicap dans le cadre de la recherche: "Le 'Landnámabók' érige ce mur en l'an 874. Les chercheurs ont hésité et ont eu peur de jeter un coup d'œil au-delà. Je préfère aborder la question de la colonisation comme un livre ouvert. Les fouilles de Stöð et de plusieurs autres sites en Islande établissent la preuve formelle d'une présence humaine en Islande des décennies avant qu'Ingólfur ne s'installe à Reykjavik."
Einarsson a effectué les premières fouilles exploratoires à Stöð, dans le fjord de Stöðvarfjörður, au cours de l'automne 2015. Une nouvelle campagne de fouilles, encore en cours, a déjà permis de faire des découvertes qui amènent les chercheurs à reconsidérer les débuts de l'histoire de l'Islande. "Nous fouillons actuellement ce qui est certainement une ferme de l'Âge Viking, datant de 860 ou 870 d'après mon estimation. La conception du bâtiment et les objets mis au jour montrent une ferme typique et plutôt riche de la période de la colonisation", a précisé l'achéologue.
Selon lui, elle pourrait avoir été été le siège d'un riche fermier: "La maison longue figure parmi les plus grandes trouvées en Islande, longue de 31,4 mètres. En Scandinavie, seules les exploitations agricoles des chefs comportaient des maisons longues de plus de 28 mètres. C'est également la maison longue la plus riche jamais découverte en Islande. Nous avons trouvé 92 perles et 29 objets en argent, dont des pièces romaines et arabes." Même en additionnant les deux plus grandes découvertes faites par le passé en Islande, la quantité de perles trouvé à Stöð reste deux fois plus importante.
Une énorme maison longue encore plus ancienne
Le fait que la ferme de l'Âge Viking ait été construite sur les ruines d'une maison longue encore plus ancienne, rend le site encore plus passionnant. "Nous n'avons toujours pas dressé un tableau complet car nous devons achever de mettre au jour la ferme la plus récente avant de pouvoir explorer cette ancienne structure", a indiqué Einarsson, avant d'ajouter: "Elle a été construite à l'intérieur des murs écroulés de l'ancienne structure qui semble avoir été énorme, faisant au moins 40 mètres de long."
À titre de comparaison, les plus grandes maisons longues trouvées en Scandinavie mesurent en moyenne 50 mètres de long. "Elle semble également être au moins aussi ancienne que les plus vieilles structures que nous avons déjà découvertes en Islande. Sur la base de datations par le radiocarbone et d'autres indices, j'estime que cette structure date des alentours de l'an 800."
La caractéristique la plus frappante de l'ancienne structure est l'absence flagrante d'os d'animaux d'élevage. "Ma théorie est que l'ancienne maison longue devait être un camp de chasse saisonnier, géré par un chef norvégien qui organisait des voyages en Islande afin de collecter des biens de valeur et de les ramener par la mer en Norvège." Bjarni pense que de tels camps étaient également exploités dans d'autres parties de l'Islande. "Nous avons trouvé plusieurs sites en Islande où nous pouvons confirmer une présence humaine avant l'an 874. Le site d'Aðalstræti dans le centre-ville de Reykjavík en est un. Vogur à Hafnir [sud-ouest de l'Islande] en est un autre où j'ai mené des investigations approfondies à la recherche de traces d'enclos ou de bétail, mais n'en ai trouvé aucune."
Une récompense de taille
Les camps saisonniers auraient joué un rôle essentiel dans la colonisation de l'Islande. "Tout peuplement permanent aurait nécéssité une exploration préalable avec des risques et à des coûts considérables, suivie d'une subsistance reposant sur la chasse et la cueillette jusqu'à ce que le bétail se soit multiplié", a souligné Helgi Skúli Kjartansson, professeur émérite d'Histoire à l'Université d'Islande et auteur de plusieurs manuels d'Histoire islandaise. "Une première phase de camps saisonniers, avec des éclaireurs partant à la chasse et à la recherche d'articles d'exportation de valeur, expliquerait comment l'exploration fut financée et comment le monde nordique prit connaissance des ressources et des opportunités offertes par l'Islande."
L'idée que la colonisation de l'Islande s'effectua rapidement et automatiquement après sa découverte par des explorateurs, sous la direction de membres issus d'éminentes familles vikings, voire d'origine aristocratique, était largement admise sur la base des récits du Landnámabók et des sagas, confirme le professeur. "Mais nous devons nous rappeler que l'Islande est à la lisière du monde habitable, séparée des autres colonies nordiques par un vaste océan hostile."
Les gens ne se seraient pas embarqués pour une telle traversée par milliers, en l'espace seulement de quelques décennies, sans une bonne connaissance de ce qui les attendait. "Plus important encore, il fallait qu'il y ait une récompense de taille pour inciter les gens à franchir l'océan. Il aurait été très peu judicieux de lancer de telles expéditions à haut risque pour ramener de lourdes marchandises aussi encombrantes que bon marché. Ils avaient besoin de marchandises de grande valeur et de faible volume", en a déduit Kjartansson.
L'une de ces marchandises aurait été, à en croire de récentes recherches paléoécologiques, l'ivoire de morse.
La chasse au morse islandais
En 2019, les analyses génétiques et la datation par le radiocarbone de défenses de morse trouvées en Islande ont révélé qu'elles appartenaient à une sous-espèce du morse de l'Atlantique inconnue jusque-là. "Cette découverte nous a surpris", a déclaré le Dr Hilmar Malmquist, directeur du Musée islandais d'Histoire naturelle à l'origine de cette étude et co-auteur du rapport. "L'hypothèse dominante consistait à dire que les os appartenaient à des animaux errants du Groenland ou de l'archipel du Svalbard. Mais nous avons découvert que l'Islande abritait en fait une sous-espèce distincte et indigène."
Le morse islandais semble avoir vécu le long des côtes du pays pendant des milliers d'années, à partir d'au moins 7000 ans avant notre ère, pour disparaître peu de temps après l'arrivée des colons.
Malmquist soutient que plusieurs facteurs auraient pu contribuer à sa disparition, notamment le réchauffement climatique et des éruptions volcaniques. "Mais je pense que la chasse est l'explication la plus évidente. La population totale semble avoir été restreinte, peut-être pas plus de 5 000 individus. Ils ne devaient pas du tout avoir l'habitude des humains et donc être faciles à tuer - la chasse aurait donc pu anéantir le morse islandais assez rapidement." (Lire à ce sujet sur Idavoll: L'extinction du morse islandais coïncide avec la colonisation viking)
L'expansion Viking ou la ruée vers l'ivoire
L'ivoire de morse était en forte demande en Europe, notamment en raison d'une baisse de l'offre d'ivoire d'éléphant suite à la conquête musulmane du Moyen-Orient, qui perturbait les routes commerciales en direction de l'Asie et de l'Afrique.
Toutefois, les défenses ne furent probablement pas la seule chose que les Vikings convoitaient chez le morse. Les peaux étaient très recherchées, car elles fournissaient le matériau disponible le plus résistant pour protéger et renforcer les cordages. Les Vikings utilisaient également de l'huile faite à partir de la graisse de morse pour imperméabiliser les coques des navires et les protéger des parasites. Et bien que les chercheurs ne savent pas exactement comment ils la préparaient, les sources semblent suggérer que les Vikings considéraient la viande de morse comme étant plutôt savoureuse.
La denture des mammifères marins tels que les narvals, les cachalots et les morses était désignée par le nom de tannvara, et se trouvait parmi les biens prestigieux les plus précieux, dont les chefs se servaient pour signifier et asseoir leur statut et accéder aux cours royales. Une seule défense de morse valait le salaire annuel d'un paysan. Les chercheurs ignorent quel était le prix des dents de cachalot, mais selon eux, l'Islande aurait constitué une source d'approvisionnement abondante. "Chaque crâne de cachalot contient de 50 à 70 dents, et les rivages devaient être jonchés de squelettes de cachalots et de morses. Les dents sont extrêmement dures et se conservent pendant des siècles. Les premiers explorateurs pourraient avoir rassemblé des cargaisons de 'tannvara' simplement en fouillant les rivages", a suggéré Einarsson.
Il est ainsi facile d'envisager la découverte de l'Islande comme une sorte de 'ruée vers l'or', qui propulsa l'expansion du monde viking vers l'Ouest. "La question qui se pose est de savoir si la colonisation du Groenland depuis l'Islande, à la fin du Xème siècle, était liée à l'épuisement de la population de morses islandais par une chasse excessive", a relevé pour sa part le professeur Kjartansson.
Un melting pot précoce
Les camps de chasse comme ceux de Stöðvarfjörður et Reykjavík se seraient avérés cruciaux pour la colonisation de l'Islande, servant de points de passage-clés et de sites de rassemblement pour la poursuite de la colonisation de l'île. Dans de tels lieux, les nouveaux arrivants pouvaient trouver des guides expérimentés connaissant la région, les courants océaniques et les bons ports, l'endroit où il était possible de traverser les rivières à gué, quels cours d'eau et lacs permettaient les plus belles prises de saumons et de truites, et quelles baies et fjords abritaient les plus grandes colonies d'oiseaux.
Les colons ont afflué de différentes régions de l'Atlantique Nord comme le montrent les analyses d'Agnar Helgason à deCODE Genetics, une compagnie biopharmaceutique basée à Reykjavík. Les nouveaux Islandais venaient de Scandinavie et des îles britanniques, dont l'Écosse et l'Irlande. L'étude a également révélé un déséquilibre intrigant entre les sexes: alors que 75 à 80% des hommes venaient de Scandinavie, 40 à 60% des femmes étaient d'origine gaélique. (Lire à ce sujet sur Idavoll: Ce que révèle le génome des premiers colons de l'Âge Viking sur la constitution d'une population)
Les fouilles menées à Stöð ajoutent une toute nouvelle dimension à ce tableau. "Un grand nombre d'outils en pierre et d'éclats de jaspe, de calcédoine, d'opales et de silex produits par une industrie lithique constituent l'une des découvertes les plus fascinantes. Nous pouvons sans problème supposer que les personnes qui occupaient le camp connaissaient et utilisaient cette technologie de 'l'Âge de Pierre'. Nous avons trouvé les mêmes types d'outils et d'éclats sur d'autres sites en Islande, mais celui de Stöð en a produit plus que tout autre site islandais. Stöð est également tout à fait unique à cet égard par rapport aux sites scandinaves de l'époque viking", a déclaré l'archéologue.
Les Vikings possédaient une culture de l'Âge du Fer, mais les Samis, un peuple nomade qui vivait dans le nord de la Scandinavie, utilisaient des outils en pierre. Les artisans samis étaient des experts en sculpture sur os et les chercheurs estiment qu'ils auraient pu composer une main-d'œuvre qualifiée au sein d'une industrie islandaise de l'ivoire. (Lire à ce sujet sur Idavoll: L'art des Samis précurseur de la colonisation viking)
Les grands chefs arrivés en dernier
L'économie de l'Islande au début de la colonisation est encore floue, mais le nombre de perles en tout genre et d'artefacts en argent mis au jour à Stöð suggèrent, à n'en pas douter d'après Einarsson, une richesse et un commerce importants. La chasse au morse devait jouer un rôle vital au cours des premières explorations et au tout début de la colonisation de l'Islande, générant potentiellement d'énormes richesses pour les colons ambitieux. Mais la grande majorité des immigrants arrivés à la fin du IXème et au début du Xème siècle ne vinrent pas chasser le morse à grande échelle.
Quant aux grands chefs décrits dans les sagas comme les premiers colons d'Islande, le professeur Kjartansson pensent qu'ils ne sont arrivés qu'après l'émergence d'une société: "Si nos aristocratiques ancêtres ne relèvent pas du pur fantasme, ils furent les derniers arrivés dans le processus de colonisation. Les terres inoccupées devaient attirer principalement les classes laborieuses. Pour les plus respectables, la terre n'est un atout que si elle est accompagnée d'une main d'oeuvre en quantité et d'une structure sociale avec un ordre hiérarchique assez fort."
Les historiens n'ont encore rien écrit sur le commerce de l'ivoire de morse et les camps de chasse saisonniers aux premiers temps de l'Islande. C'est pourquoi, en attendant, archéologues et chercheurs sont libres d'imaginer à quoi pouvait ressembler cette histoire. Une chose est sûre: le mythe selon lequel les héros de cette première phase auraient été de nobles chefs épris de liberté, échappant à l'imposition et à la tyrannie du pouvoir central norvégien, guidés par une main divine pour devenir les pères fondateurs de la future Reykjavík, s'est effondré.
Les héros de la littérature islandaise s'effacent pour laisser place aux anomymes des camps saisonniers comme celui de Stöð, c'est-à-dire les chasseurs de morses, les artisans samis, et les milliers de personnes de tous rangs qui suivirent leurs traces pour prendre un nouveau départ à l'autre bout du monde.
- Source: www.icelandreview.com (traduction et réécriture Kernelyd)
20.07.2023 - Le plus ancien dessin découvert en Islande représente un bateau viking
Le plus ancien dessin connu du pays a été découvert par les archéologues dans les vestiges de la maison longue de Stöd, antérieure à l'époque de la colonisation permanente de l'île. Gravé sur une petite pierre, il représente un bateau viking.
Le dessin a été gravé sur une pierre de grès de 2,5 centimètres de large. Il daterait du début du IXème siècle, soit près de 75 ans avant la colonisation permanente de l'Islande, a annoncé Bjarni F. Einarsson, archéologue et directeur d'un service archéologique privé appelé Fornleifafræðistofan, qui depuis 2015, revient chaque été fouiller le site de Stöð, près du village de Stöðvarfjörður, situé dans la municipalité de Fjarðabyggð sur la côte est de l'Islande.
Un style rudimentaire
La gravure donne à voir une voile avec des lignes verticales, une corde reliant la voile à l'avant du navire et une coque partiellement dessinée. Une représentation incomplète qui ne surprend pas l'archéologue: "Il arrive très souvent que la coque des navires ne soient pas entièrement dessinée".
Ce type de 'graffitis' de l'Âge Viking, figurant aussi bien des bateaux seuls que des flottes entières, sont courants en Scandinavie. Les chercheurs en retrouvent sur divers supports tels que des fragments d'os, des pierres et du bois. Mais ce dessin naval est le premier du genre à être mis au jour en Islande.
"Nous ne savons pas pourquoi les gens sculptaient ces navires sur toutes sortes de matériaux", admet Bjarni F. Einarsson. "Ils sont extrêmement mal faits. Ce ne sont pas des chefs-d'œuvre".
Le premier et le plus ancien d'Islande
La datation au radiocarbone et les couches de téphra (cendres volcaniques) ont révélé que les Vikings avaient vécu à Stöd et reconstruit la maison longue à trois reprises: avant l'an 800, peu après 800 et, enfin, dans la seconde moitié du IXème siècle.
La pierre gravée est apparue tandis que l'archéologue s'intéressait aux vestiges d'un mur datant de la phase intermédiaire de peuplement, soit du tout début du IXème siècle, lorsque la maison longue mesurait près de 43 mètres de long.
Ainsi, ce dessin vieux de 1200 ans constitue à présent la plus ancienne image jamais trouvée en Islande, reléguant en deuxième position la gravure d'une tête de morse découverte sur le site d'une ferme de l'Âge Viking, dans l'Ouest de l'Islande, datée 'seulement' du Xème siècle.
Un vaste chantier de fouille
Au printemps 2023, l'archéologue et son équipe ont eu recours aux dernières technologies afin de sonder une zone plus large autour de la ferme de Stöd. Cela leur a permis de détecter de nouvelles traces de structures et celles d'un site funéraire pouvant recéler des bateaux-tombes.
Cependant, le chantier de fouille de la maison longue s'avère bien plus vaste que ce à quoi Bjarni F. Einarsson s'attendait, et il estime qu'ils ne pourront pas le terminer avant la fin de l'été.
D'après leurs recherches, le site était avant même la colonisation de l'Islande, un camp saisonnier pour la pêche et la chasse. "Les navires sont des symboles de l'Âge Viking, mais ils représentent aussi beaucoup d'autres choses, telles que les espoirs de richesse, la navigation et les actes héroïques", précise-t-il. "À moins que ce voilier ne soit le symbole-même de la victoire qu'impliquait la traversée de l'Atlantique".
Sources: www.mbl.is, www.icelandreview.com, www.ruv.is, www.livescience.com (traduction et synthèse Kernelyd)
viking archéologie Islande camp maison longue colonisation ivoire de morse Stod Landnamabok sagas islandaises
Ajouter un commentaire