Espagne - La cajita de San Isodoro, le seul et unique artefact viking du pays
- Le 23/04/2020
- Dans Archéologie
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Les incursions des Vikings dans la péninsule ibérique sont essentiellement connues grâce aux chroniques chrétiennes, aux récits arabes et aux sagas nordiques, toutes rédigées au Moyen Âge. Les traces tangibles de leur passage n'ont pas fait l'objet de découverte archéologique à ce jour. Toutefois, le musée de la basilique collégiale de Saint Isidore, à León, abrite le seul artefact viking attesté en Espagne, la petite boîte de San Isidoro.
Entre le IXème et le XIème siècle, les régions du nord ouest de l'Espagne et du Portugal actuels ne furent pas épargnées par les Vikings. Des villes telles que Gijón, Saint-Jacques-de-Compostelle, La Corogne, Lugo, Pampelune, Séville, Cadix ou Orihuela, entre autres subirent plusieurs vagues d'attaques de durée et d'intensité variables: la première vers 844, la seconde entre 858 et 861, une troisième de 966 à 971 et la dernière vers 1008.
Mais la cajita de San Isidoro, appelée également ''idolillo", n'est pas une découverte archéologique. L'artefact d'origine viking fait partie des reliquaires de diverses origines géographiques composant le trésor de la collégiale de Saint Isidore, à León.
Cette petit boîte revêt une importance particulière pour de nombreuses raisons. La principale est qu'il s'agit de l'un des très rares témoignages de la culture matérielle de l'Âge Viking en Espagne. C'est également l'un des rares artefacts de cette époque parfaitement bien conservé, qui soit resté en usage au fil des siècles jusqu'à ce qu'il se retrouve dans le musée de San Isodoro. Enfin, la qualité supérieure de son exécution artistique en fait un "véritable chef-d'œuvre de l'art viking", selon l'historien Eduardo Morales Romero dans son ouvrage Histoire des Vikings en Espagne: attaques et incursions contre les royaumes chrétiens et musulmans de la péninsule ibérique aux IX-XI siècles, (Ed. Miraguano, Madrid, 2009).
Un artefact viking du Xème siècle
L'idolillo est une petite boîte cylindrique mesurant 4,4cm de haut et 3,3cm de diamètre. Très peu de chercheurs ont été autorisés à manipuler l'objet et aucun échantillon ne peut être prélevé en raison de son appartenance à un établissement religieux. En l'absence de toute analyse scientifique approfondie, les chercheurs ont avancé sur la base de comparaisons avec d'autres objets, diverses matières premières dont elle pourrait être faite, telles que l'ivoire, l'ivoire de morse, l'os, l'os de baleine, le bois de cerf élaphe ou de renne et même la corne. D'après eux, le bois de cerf est le matériau le plus probable au regard de la tête d'animal sculptée en saillie sur l'une des extrêmités de l'ouvrage, ce qui peut être réalisé à partir d'un andouiller.
La sculpture ajourée met en scène huit animaux différents entrelacés de manière complexe. L'animal principal de la composition est un oiseau dont la tête crée un relief proéminent dans le bas de la boîte. Cinq serpents, qui remplissent le champ du cylindre, s'enroulent autour des ailes déployées de l'oiseau et deux plus petits se nichent de chaque côté de sa tête. Mais aucun élément n'est un symbole chrétien.
Cette décoration typiquement scandinave de l'idolillo est la clé à la fois de sa datation et de sa provenance: un artefact viking, avec potentiellement une origine danoise, de la fin du Xème siècle. Ses sculptures de motifs zoomorphes sont en effet exécutées dans l'un des styles d'art viking, entre 950 et le XIème siècle, connu sous le nom de style de Mammen d'après le dessin incrusté sur une hache de cérémonie du site de Mammen dans la péninsule du Jutland, au Danemark. L'artefact de León présente également certaines caractéristiques du style de Ringerike, qui remplaça progressivement le style Mammen vers l'an 1000.
Une oeuvre d'art sans pareil
Les extrémités de la boîte de San Isodoro sont fermées par de petits couvercles en alliage de cuivre doré et au décor moins complexe mais également ajouré. Le plus petit des deux, sur le dessus de l'idolillo, est circulaire et fixé avec des rivets, l'autre est ovale et plus long, avec une charnière pour l'ouvrir et le fermer. Toutefois, les marques qui apparaissent sur les bords du cylindre donnent à penser qu'il fut, à un moment donné, hermétiquement fermé des deux côtés.
Seuls quelques objets d'origine scandinave peuvent être comparés à cet artefact d'après sa forme cylindrique et sa potentielle fonction. Manche de couteau, étui à aiguilles, réserve de sel, ou autres petits objets cylindriques de l'Âge Viking, les plus cités pour leur ressemblance stylistique sont un cylindre en os de 6 cm découvert à Årnes dans la région du Trøndelag en Norvège, un cylindre de bois de cerf de 3 cm de haut trouvé dans une zone de peuplement à l'embouchure de l'Oder à Wolin en Pologne et un cylindre en os de 7,7 cm mis au jour à Bornais sur l'île de South Uist; dans l'archipel des Hébrides extérieures en Écosse.
Toutefois, ce sont les coffres de Bamberg en Allemagne et Cammin en Pologne, autrefois utilisés comme reliquaires et conservés parmi les trésors de l'église, qui sont le plus souvent associés à l'artefact de León, au point que certains chercheurs estiment qu'ils sont probablement sortis du même atelier. Cependant, aucune de toutes ces références ne présente de sculpture ajourée comme l'idolillo.
Du reliquaire au désodorisant de luxe
L'absence de pièces similaires à l'artefact de León rend très difficile la tâche de déterminer dans quel but il a été créé. Le décor ajouré du cylindre et des couvercles composant la petite boîte ajoutent une difficulté supplémentaire car les espaces vides sont trop grands pour qu'elle puisse accueillir du sel ou des herbes à moins d'envelopper ses denrées dans un tissu, et trop étroits pour permettre d'apercevoir le contenu comme cela aurait dû être le cas si sa fonction première avait été d'être un reliquaire.
Rien ne permet d'ailleurs d'affirmer qu' il existe nécessairement un lien entre la boîte et son contenu; le cylindre, a pu être fabriqué dans un atelier scandinave ou n'importe où ailleurs dans une colonie nordique, pour finalement recevoir, une fois dans la péninsule ibérique, un tout autre contenu. La caractéristique majeure de cette petite boîte est que tout ce qui était à l'intérieur était censé être exposé à au moins l'un des sens - sinon la vue, alors peut-être l'odorat.
Morales Romero pense que la boîte aurait pu être portée en pendentif et contenir un parfum solide, comme la myrrhe, ou d'autres substances luxueuses telles que l'ambre gris, le musc ou le camphre, dont l'odeur aurait flotté à travers les ouvertures. Porté de la sorte, le parfum pouvait être légèrement chauffé en tenant le petit cylindre dans la main.
Pour Nancy L. Wicker, professeuer d'Histoire de l'Art à l'Université du Mississippi, aux États-Unis, la seule certitude est qu'il s'agit d'une "pièce hybride qui ne correspond à la fonction d'aucun artefact scandinave connu de cette période. Il reflète plutôt une fusion de diverses références culturelles."
Six hypothèses s'affrontent
De fait, personne à ce jour n'est en capacité d'affirmer si cette authentique œuvre d'art d'un maître artisan a été conçue en Espagne ou à l'étranger. Eduardo Morales Moreno considère qu'il est très probable qu'elle ait été fabriquée dans un atelier scandinave dans les îles britanniques, sans exclure pour autant la Scandinavie. La question suivante qui se pose est donc de savoir précisément comment une telle pièce est arrivée en Espagne, dans un édifice roman catholique si loin de la côte. Plusieurs hypothèses divisent les chercheurs.
La première hypothèse est que l'idolillo aurait fait partie d'un lot d'œuvres d'art que le roi Fernando Ier (1037-1065) et la reine Sancha de León (décédée en 1067) ont donné en 1063 à la basilique collègiale royale de León. Cependant, l'artefact n'est pas mentionné dans la liste des objets qui ont été offerts, peut être parce que seuls ceux de plus grande importance ou les plus prestigieux ont été concernés par l'inventaire et que de nombreuses pièces considérées comme mineures n'ont probablement pas été indiquées.
La deuxième considère que l'artefact est arrivé à León après avoir été subtilisé à un des Vikings qui pillaient les côtes nord-ouest de la péninsule ibérique au cours des Xème et XIème siècles.
La troisième suggère que la boîte a pu être fabriquée dans la péninsule ibérique par un Viking resté en tant que prisonnier à la suite d'une incursion dans cette région.
D'après la quatrième hypothèse, la boîte serait arrivée peu de temps après la date de sa fabrication en tant que relique à la collégiale. La première référence à cet édifice date de 996 et il est mentionné qu'il a été construit pour abriter les reliques de l'enfant martyr Pelayo. Rasé par Almanzor, il fut reconstruit plus tard par le roi Alfonso V (999-1027). En 1063, Fernando Ier y fit déplacer les restes de Saint Isidore qui donna son nom à la basilique collégiale royale. Cette tombe devint un lieu important de pèlerinage sur le Chemin de Compostelle et des pèlerins aurait pu à cette occasion faire don de l'idolillo comme acte de dévotion.
Selon la cinquième hypothèse, la boîte aurait été apportée par un missionnaire. En effet, la basilique a accumulé des reliques des corps de saints pendant une bonne partie du Moyen Âge en provenance des quatre coins du monde chrétien. Le biographe Lucas de Tuy mentionne les nombreux voyages dans les régions de France, d'Irlande et des îles britanniques que le chanoine Saint Martin de León (1120-1203) a effectué; bon nombre de ces régions étaient des terres qui furent par le passé visitées ou colonisées par les Vikings. Il est donc possible qu'il ait emmené avec lui cette boîte en tant que reliquaire.
Pour finir, la sixième hypothèse envisage que la boîte cylindrique ait pu faire partie d'un échange de cadeaux entre les royaumes chrétiens et une maison royale scandinave quelque temps après sa fabrication. Bien qu'un tel contact puisse sembler étrange, il n'a rien de si surprenant. À titre d'exemple, vers le milieu du XIIIème siècle, les royaumes de Norvège et de Castille signèrent une alliance par le mariage de la fille du roi norvégien Haakon IV de Norvège, Kristina Håkonsdatter, avec l'un des frères d'Alphonse X, dit "Alphonse le Sage", infant de Castille. Kristina vécut à Séville et, à sa mort, fut enterrée à Covarrubias.
Un tribut versé par les taifas?
Les conservateurs du musée de San Isodoro soutiennent la première hypothèse, selon laquelle la petite boîte d'origine viking appartenait à Fernando Ier et la reine Sancha, qui en auraient fait don à la collégiale. Elle aurait pu alors entrer en leur possession en tant qu'une part du tribut versé par les musulmans aux rois chrétiens.
En l'an 1063, date du don royal à la basilique, la péninsule ibérique était plongée dans la période historique connue sous le nom de La Reconquista et le monde musulman, al-Andalus, est divisé en taifas, des royaumes indépendants formés en 1031, après la dissolution du Califat de Cordoue, jusqu'en 1085. Pour vivre en paix, les taifas payèrent aux monarques catholiques, des tributs appelés parias, et tout particulièrement au royaume de León qui était à l'origine de ces impôts.
Les Vikings ont attaqué le territoire d'Al-Andalus à de nombreuses reprises à cette époque, et ont été vaincus la plupart du temps. Ils ont également largement commercé avec le monde arabe. Peut-être ont-ils payé les musulmans avec cette boîte en échange d'autre biens ou pour sauver leur vie.
Un cadeau de mariage?
L'historienne américaine Nancy L. Wicker a participé en Septembre 2018 aux ateliers du Projet Trésor (el "Proyecto Tesoro) organisés par le musée de San Isodoro et a publié un article, le 18 Mars 2019 dans la revue Journal of Medieval Iberian Studies, consacré à la petite boîte viking.
À la question de savoir comment cet artefact s'est retrouvé parmi le trésor royal de la collégiale de Saint Isidore, la chercheuse répond dans une interview pour le Journal de León qu'il s'agit "probablement d'un cadeau de mariage lié à une femme du nord qui est venue en Ibérie pour se marier." Elle subodore qu'un artisan itinérant viking aurait pu être chargé de créer quelque chose de spécial pour une jeune princesse, à l'instar de Christina de Norvège, envoyée se marier - et ainsi cimenter les liens diplomatiques - dans la péninsule ibérique, où le mode de vie lui était étranger.
"L'oiseau devait regarder vers le bas, se projetant du haut de la boîte comme une gargouille" estime Nancy L. Wicker, qui pense également que la boîte cylindique servait à diffuser un parfum. C'est la raison pour laquelle l'historienne avance comme argument, en faveur de son hypothèse, le fait que l'objet a été fait exprès pour une personne qui "savait apprécier le style zoomorphe de l'ornementation viking et l'utilisation exotique d'essences aromatiques inconnues dans le nord".
Seules des analyses scientifiques permettraient d'en apprendre davantage et de déterminer avec certitude l'origine et la fonction première de la "cajita de San Isodoro".
- Sources: www.arqueofilia.com, www.thevalkyriesvigil.com, www.diariodeleon.es (traduction et réécriture Kernelyd)
- The Scandinavian container at San Isidoro, León, in the context of Viking art and society (www.docplayer.net)
- Musée de San Isodoro: www.museosanisidorodeleon.com
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